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LE BRACELET DE FER

vous aimez tant ce petit promontoire. Qu’en dites-vous, ma Réjanne ?

— Je dis que ce serait… idéal ! s’écria la jeune fille. Pensez-y, Paul, un kiosque sur ce cap, en face du beau fleuve Saint-Laurent et au centre de ces « yeux d’ange » !

— Il ne faudra pas en souffler mot à mon oncle encore, cependant, dit Paul, en souriant, car il voudrait faire ériger le kiosque tout de suite, s’il apprenait que vous le désirez.

— Cher, cher M. Fiermont ! fit Réjanne, dont les yeux se remplirent de larmes. Eh ! bien, partons !

— Partons, puisque vous le désirez, mon aimée. Ah !…

— Qu’est-ce ? Qu’y a-t-il, Paul ?

— Rien… Ce n’est rien…

— Mais, si, il y a quelque chose ! Qu’est-ce donc ?

— J’ai perdu un de mes boutons de manchettes…

— Un de vos boutons de manchettes ?… Une de vos perles noires alors ? Il faut la trouver !

— Je reviendrai, dit Paul, qui, machinalement, porta sa main droite à son bras gauche, car c’était le bouton de manchette de son poignet gauche qu’il avait perdu.

— Cherchons-le ! s’exclama Réjanne.

— Je reviendrai… répéta Paul.

— Cherchons-le ! C’est un joyau de si grande valeur ; il faut que nous le trouvions !

Tous deux se mirent à examiner l’endroit où ils se trouvaient.

— Oh ! Le voilà ! Quelle chance de l’avoir trouvé, cher ami ! s’écria Réjanne, tout à coup.

Presqu’à ses pieds, Paul vit le bouton de manchette ; une perle noire, hors de prix.

Réjanne, s’étant penchée pour ramasser le bouton, instinctivement, Paul étendit le bras gauche, qui se trouvait du côté de la jeune fille, pour la retenir… Hélas ! Il arriva alors une catastrophe, car, aussitôt qu’il eut étendu le bras, le jeune homme sentit quelque chose glisser le long de son poignet ; c’était le bracelet de fer !

Sa manchette étant déboutonnée, le bracelet glissa jusqu’à sa main. Mais vite, il se hâta de relever son bras ; il ne fallait pas risquer que sa fiancée vit cette partie de menottes, qu’il semblait être destiné à porter tout le reste de ses jours…

Il était trop tard !… Lorsqu’il leva les yeux sur Réjanne, afin de lui faire quelque remarque, en souriant, il vit celle-ci qui, pâle, les yeux démesurément ouverts, les lèvres blanches, indiquait du doigt le bracelet :

— Le bracelet de fer ! Le bracelet de fer !

— Réjanne ! Réjanne ! Écoutez-moi, ma chérie !… Je vais vous expliquer…

— Le bracelet de fer ! répétait-elle, une sorte d’horreur dans les yeux, et elle fit quelques pas en arrière.

Paul voulut s’élancer vers elle, la retenir, essayer de lui expliquer la provenance du bracelet de fer ; mais, d’un geste méprisant, elle le repoussa, puis elle partit, comme une flèche, dans la direction de La Solitude.

Cependant, le geste qu’avait fait Réjanne en repoussant son fiancé, avait été plutôt brusque, et celui-ci, perdit pied. Il tomba et roula tout le long du promontoire, puis, sa tête donnant sur un rocher, il perdit connaissance…

Alors, à travers leurs feuilles vertes, les « yeux d’ange » semblèrent le regarder avec compassion.

Chapitre XII

LES YEUX D’ANGE


Paul, lorsqu’il essayait, plus tard, de se rappeler les incidents qui accompagnèrent son évanouissement, ne pouvait se souvenir que fort confusément de ce qui s’était passé.

Il savait bien qu’il avait perdu connaissance, et que sa tête était devenue en contact avec le rocher aigu, mais cet évanouissement n’avait pas duré longtemps. Il sembla s’éveiller comme on s’éveille, lentement, des effets d’un anesthésique, car, quoiqu’il ne se sentit pas la force d’ouvrir les yeux, il avait parfaitement conscience d’une chose : c’était qu’on lui prodiguait des soins.

— Réjanne ! pensait-il. Elle n’a pu m’en vouloir longtemps ; elle est trop véritablement intelligente et bonne !

Sa fiancée était revenue ! Il savait qu’elle humectait d’eau froide son visage et ses mains… Chère, chère Réjanne !

Allons ! Un petit effort ! S’il pouvait ouvrir les yeux, un instant, un seul, pour sourire à la jeune fille !… Ah !…

Ses yeux s’ouvrirent, mais pour un moment seulement, et ce qu’il crut voir, c’était que des « yeux d’ange » le regardaient avec compassion… Il lui sembla apercevoir aussi un coin du ciel bleu, sur lequel flottaient de légers nuages, des nuages d’or, ondulés, comme une luxuriante chevelure…

Puis ses yeux se refermèrent… Réjanne ?… Il ne l’avait pas aperçue… Mais il savait qu’elle était là… N’était-ce pas sa main délicate qui venait de soulever sa tête blessée pour la déposer sur un coussin de mousse ; cette mousse, elle avait dû l’arracher au flanc d’un rocher… Ces soupirs… ces sanglots… Pauvre, pauvre Réjanne !… Elle devait être mortellement inquiète !… S’il avait donc la force d’ouvrir les yeux une bonne fois ! S’il pouvait donc parvenir à lui adresser la parole, afin de la rassurer un peu !…

Enfin, sa connaissance lui revint tout à fait, et il ouvrit grands les yeux. Bien vite il regarda autour de lui… Il était seul !… Réjanne ?… Où était-elle ?… Il ne pouvait douter qu’elle lui eut prodigué des soins, car il sentait, sous sa tête, le coussin de mousse ; de plus, ses mains et son front étaient encore humides… Il essaya d’appeler sa fiancée :

— Réjanne !

Mais l’écho seul lui répondit.

La jeune fille l’avait donc abandonné, aussitôt qu’elle s’était aperçue qu’il allait reprendre connaissance ?… Alors, ce serait qu’elle ne pouvait oublier l’incident du bracelet de fer, et qu’elle ne voulait pas fournir à Paul la chance de lui donner des explications ? Impossible ! Réjanne était aussi juste que noble et belle…

Mais… on venait… Des pas légers s’appro-