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LE BRACELET DE FER

— Je suis heureux de faire votre connaissance, répondit Anatole, d’une voix flutée, qui eut l’heur de déplaire si grandement à Paul qu’il en fronça les sourcils ; même, il faillit hausser les épaules, en l’entendant.

À ce moment résonna le timbre de la salle à manger, et presque aussitôt, on entendit des pas légers dans le corridor.

— Voici Réjanne ! fit Mme Trémaine.

Réjanne !… Mais, oui ! Paul se souvenait de Réjanne Trémaine maintenant ! Elle avait été sa compagne de jeux, autrefois… Il la revoyait encore… Lorsqu’il était parti, elle devait avoir… onze ans… Très développée, pour son âge, les yeux trop grands pour son visage trop maigre, les cheveux noirs comme l’aile du corbeau, peignés très inartistiquement en deux longues tresses épaisses, lui allant jusqu’aux genoux… De plus…

La porte de la bibliothèque s’ouvrit, et Paul faillit crier, en apercevant la radieuse jeune fille qui venait d’apparaître sur le seuil. Même, il se leva debout, et les yeux étonnés, il regardait Réjanne.

Comme il arrive assez souvent, il avait commis une erreur assez commune ; depuis sept ans qu’il n’avait pas revu sa compagne de jeux de jadis, il était resté sous l’impression qu’elle était encore comme à l’âge de onze ans.

Celle qui venait d’entrer dans la bibliothèque était grande, élégante et svelte. Des yeux expressifs, surmontés de fins sourcils, animaient un visage presque parfait, aux traits délicats, aux joues légèrement rosées, à la bouche toute petite, qui faisait penser à un bouton de rose, se dit Paul.

Aussitôt entrée dans la pièce où se trouvaient ses parents et leurs invités, Réjanne se dirigea vers Paul, et avec un geste amical et simple dit :

— C’est M. Paul Fiermont, mon ancien compagnon de jeux, mon ami d’enfance.

Mlle Trémaine ! répondit Paul en s’inclinant profondément devant la jeune fille.

— Comment va, Réjanne ? demanda Delmas Fiermont, en s’avançant vers la fille de son ami, à laquelle il donna un paternel baiser.

— Merci, M. Fiermont, je me porte bien. J’espère que votre santé est excellente ?

— Eh ! bien, quand dinons-nous ? demanda Georges Trémaine, qui, assurément, n’avait pas envie de sauter son diner.

— Tout de suite, Georges ! répondit Mme Trémaine.

Anatole Chanty se leva, avec l’intention évidente de conduire sa cousine Réjanne à la salle à manger ; mais Paul Fiermont fut trop vif pour lui ; ce dernier offrit son bras à la jeune fille, qui l’accepta avec un ravissant sourire.

Anatole s’était mordu les lèvres, de dépit ; ce que voyant, par hasard, Paul se dit :

— Tiens ! Tiens ! Est-ce que le jeune Anatole (Anatole Chanty était de trois ans plus âgé que Paul) serait amoureux de sa cousine ?… Ça ne serait pas du tout surprenant, bien sûr ! Ce qui serait fort étonnant, par exemple, ce serait que cette exquise jeune fille partagerait les sentiments de son cousin ; c’est-à-dire qu’elle serait amoureuse de ce… freluquet !

Le diner fut très gai, nonobstant la mine déconfite d’Anatole, et ses soupirs, lorsque ses yeux rencontraient ceux de Réjanne… nous regrettons d’avoir à avouer que ces soupirs du jeune Chanty avaient le don d’égayer prodigieusement Paul.

Le neveu de Delmas Fiermont était le héros du festin. Georges Trémaine et sa femme ne se lassaient pas de le questionner sur sa vie d’aventures et sur les pays qu’il avait vus… et il en avait vu plusieurs.

— J’ai rapporté des trophées et souvenirs de mes voyages et aventures, dit Paul. Mon oncle Delmas va faire ajouter une aile à son « château » ; ce sera mon musée.

— Un musée ! s’écrièrent-ils tous.

Construire un musée, ce n’était pas une petite affaire ! Georges Trémaine sourit ; il comprenait si bien son vieil ami ! Il allait gâter son neveu, afin qu’il ne prît pas fantaisie à ce dernier de le quitter de nouveau. Au fond, c’était très pathétique.

— Oui, un musée… N’est-ce pas que ce cher oncle me gâte ? fit Paul, en posant affectueusement sa main sur l’épaule de Delmas Fiermont, qui était son voisin de table.

— Et nous ferons l’inauguration du musée, dit Delmas. Ce sera grande fête, je vous en avertis !

— Ce sera charmant ! s’exclama Réjanne.

— Et qu’en ferez-vous de votre musée ? demanda, d’un ton qu’il voulut rendre sarcastique, Anatole Chanty. Un lieu de curiosité pour les badauds des environs ?

— Oh ! j’y admettrai les badauds comme les autres… j’y admettrai même les imbéciles, M. Anatole Chanty.

— Oh ! Ah ! Oui… fit Anatole, d’un ton si stupide, que Réjanne partit d’un frais éclat de rire.

M. Trémaine, dit Paul, je désire me livrer à l’étude de la minéralogie et de la géologie. Le musée sera donc, plutôt, mon bureau de travail… un bureau intéressant d’ailleurs, car je suis à faire empailler dans le moment, quelques oiseaux, et même des bêtes fauves, qui paraîtront avec avantage, je vous le certifie.

— Nous avons bien hâte de voir tout cela, Paul ! fit Mme Trémaine, en se levant de table et donnant l’exemple à Réjanne.

Tous, installés bientôt dans le salon, causèrent avec animation.

— Vous chantez, sans doute, Mlle Trémaine ? demanda Paul à la jeune fille.

— Un peu… très peu… commença Réjanne ; mais Delmas Fiermont l’interrompit :

— « Un peu », dis-tu ? Quelle modestie, Réjanne, quand tu chantes comme une diva !

— J’espère que nous aurons le plaisir de vous entendre, Mlle Trémaine ? fit Paul. Ayez pitié d’un pauvre aventurier, qui, depuis sept ans, n’a jamais entendu d’autre chant que celui des oiseaux.

— C’est le plus beau ! répondit Réjanne en souriant.

— Mais non le plus varié ni le plus intéressant, riposta le jeune homme. Une chanson, n’est-ce pas ?

Sans se faire prier davantage, Réjanne se mit au piano. Ainsi que l’avait dit Delmas