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LE BRACELET DE FER

assez pour te retenir auprès de moi, mon neveu ! s’écria Delmas Fiermont. Je ne pourrais plus souffrir de me séparer de toi d’ailleurs, vois-tu.

— Il n’y a pas de danger que je vous quitte, oncle Delmas, répondit Paul en souriant. J’y suis, j’y reste !… Mais, je ne veux pas vous retenir, tous deux ; c’est l’heure de la partie de dames, et…

— Nous y renonçons de bon cœur, pour aujourd’hui ; n’est-ce pas, Fiermont ? fit Georges Trémaine.

— Certes ! s’exclama Delmas Fiermont.

— Non pas ! s’écria Paul. Moi, j’irai faire une excursion du côté des écuries, voir les chevaux.

— Il y a d’assez bons chevaux, Paul, dit Delmas Fiermont. Mais il te faudra une bonne bête de selle, et nous nous en occuperons, dès demain. Au revoir donc, mon garçon !

— À tantôt, mon oncle ! Au revoir, M. Trémaine.

— La vie aventureuse n’a pas gâté ton neveu, Fiermont ! dit Georges Trémaine, au moment où il se disposait à retourner chez lui, une heure venant de sonner. C’est un charmant garçon… Un beau garçon, avec cela !

— Qui ferait un excellent mari pour ta fille Réjanne, Trémaine ! répondit l’oncle de Paul.

— En effet ! dit Georges Trémaine.

— Cela tient-il toujours, de ton côté, le projet de marier nos deux enfants ensemble : ta Réjanne et mon Paul, Trémaine ?… Tu le sais, c’est le rêve de ma vie… Dis-moi, y tiens-tu encore à cette idée ?

— Plus que jamais, mon ami ! Espérons qu’ils sympathiseront ensemble, à première vue… Eh ! bien, à demain !

— À demain !

Sur la terrasse, Georges Trémaine rencontra Paul, et celui-ci alla reconduire l’ami de son oncle, jusqu’à la barrière ouvrant sur le grand chemin.

Au moment où ils allaient se séparer tous deux, une voiture passa, attelée à deux chevaux de sang.

— Madame Trémaine, dit Paul, en désignant une dame, qui était assise dans la voiture. Elle non plus, n’a pas du tout changé.

Mais voilà que la voiture venait de s’arrêter, et Mme Thémaine faisait un signe à son mari ; celui-ci, accompagné de Paul, s’approcha aussitôt.

— Ma chère, dit Georges Trémaine, je te présente M. Paul Fiermont.

— Paul ! cria Mme Trémaine, en tendant la main au jeune homme. Te voilà donc revenu enfin !… Je ne t’aurais jamais reconnu !… Que te voilà…

— Ne me dites pas que j’ai grandi, Mme Trémaine, je vous prie ! fit Paul, en riant de bon cœur.

— J’allais le dire ! répondit Mme Trémaine, riant, à son tour. C’est vrai que tu es grand, et bronzé, et… j’allais ajouter, joli garçon, acheva-t-elle, toujours riant.

— Salue, Paul ! intervint Georges Trémaine, d’un ton amusé. Ma femme n’est pas prodigue de ses compliments, tu sais !

— Il faut que vous veniez diner avec nous, disons… mardi soir prochain, ton oncle et toi, Paul, dit Mme Trémaine.

Madame Trémaine aurait aimé inviter Paul et son oncle pour dès le lendemain ; mais elle comprit bien que le jeune homme aurait besoin de quelques séances chez le tailleur, avant de pouvoir accepter une invitation à diner. Dans la vie aventureuse qu’il avait menée, depuis sept ans, le jeune homme avait dû porter plus souvent le costume de coureur des bois que l’habit de cérémonie.

— C’est entendu ? Vous viendrez, tous deux ? demanda M. Trémaine.

— Merci, Madame ! Merci, M. Trémaine ! répondit Paul. C’est bien aimable à vous de nous inviter, et j’accepte votre invitation de grand cœur. Quant à mon oncle…

— Ton oncle ne refusera pas de t’accompagner, Paul, fit, en souriant Georges Trémaine ; il n’aime pas à te perdre de vue, dans le moment, tant il craint que tu reprennes ton vol.

— À mardi, alors ! dit Mme Trémaine. Nous dinons à sept heures.

— À mardi, Madame ! Et encore une fois, merci !

Quand Paul eut fait part à son oncle de l’invitation de Mme Trémaine, celui-ci put à peine contenir sa joie, car il désirait, par-dessus tout, qu’une rencontre eut lieu, le plus tôt possible, entre son neveu et Réjanne Trémaine. Le rêve si longtemps caressé allait peut-être se réaliser enfin !

Chapitre V

RÉJANNE


C’était le soir du diner chez les Trémaine.

Delmas Fiermont et son neveu étaient prêts à partir. Paul portait bien l’habit de cérémonie, dans lequel il avait l’air fort distingué, et il est assez de peu de gens de qui l’on peut dire la même chose. L’habit de cérémonie donne souvent, aux uns, la mine d’entrepreneurs de pompes funèbres, aux autres, celle de garçons d’hôtels ou de restaurants.

À sept heures précises, on arrivait à La Solitude ; ainsi se nommait la propriété des Trémaine. Une cordiale bienvenue attendait l’oncle et le neveu. M. et Mme Trémaine, en attendant l’heure de se mettre à table, causaient avec leur invités, dans la bibliothèque.

— N’est-ce pas bientôt l’heure du dîner ? demanda soudain Georges Trémaine.

— Oui, mon ami, répondit Mme Trémaine. Nous attendons… Ah ! tiens ! Voilà Anatole !

Un jeune homme venait d’entrer dans la bibliothèque. Petit de taille, blond, frisé, il faisait penser, se dit Paul, à une jolie petite demoiselle et, instinctivement, il ressentit pour le nouvel arrivé une sorte de méprisante tolérance. Anatole devait être un de ces « petits garçons à sa mère », types si désagréables, dont l’air inoffensif est presque toujours trompeur… Plus d’un préfère le lion qui mugit au serpent qui rampe dans l’herbe !

— Fiermont, dit Georges Trémaine à son vieil ami, je te présente mon neveu, c’est-à-dire le neveu de ma femme, Anatole Chanty. Paul, mon neveu Anatole.