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LE BRACELET DE FER

bec ; des fleurs… il y en a tant, que ce n’est presque pas croyable… Et c’est Raphaël qui est tout fier de servir de père à M. Paul, je vous le dis !… Et moi donc !… Je considère que M. Paul nous a fait un grand honneur lorsqu’il a demandé que le repas de noces se donne chez nous… et pour être un repas de noces, ça va en être un, je ne vous dis que ça ! Des caisses et des caisses de friandises sont arrivées de Québec ; c’est M. Paul qui fait tous les frais, bien entendu, et je vous assure qu’il ne mesquine en rien. M. le curé est fier comme un roi, vu que M. Paul a garni toute l’église des plus beaux tapis qui soient ; les marches de l’autel, le chœur, toute la grande allée sont couverts de tapis de velours… oui, de velours, Mme Laroche ! Moi, je vous dirai bien, je ne savais pas qu’il y avait des tapis faits en velours ; mais c’est bien ça, puisque M. Paul me l’a dit… En attendant, moi, je vis littéralement dans mes fourneaux, depuis au-delà d’une semaine ; c’est qu’il y en a des choses à préparer et à faire cuire !… Cette chère petite Nilka ! Je suis contente qu’elle se marie avec M. Paul ; elle va être heureuse, bien sûr ! Tout de même, je suis peinée de la voir partir, car Raphaël et moi, nous l’aimons comme si elle était notre fille. Mais, vous comprenez, Mme Laroche, ce n’eut pas été tenable, sur L’épave, l’automne et l’hiver… l’hiver surtout ; ici, en ces régions, vous savez ce que c’est…

— Les mariés se rendront-ils directement à Québec, ou plutôt, à la Banlieue, après le repas de noces, Mme Brisant ? se hâta de demander Mme Laroche, saisissant avidement la chance qui se présentait pour elle de mettre son mot dans la conversation.

— Oui, Mme Laroche, ils se rendront directement à la Banlieue. Et nous, Raphaël et moi, je veux dire, nous sommes invités à aller passer le temps des « Fêtes » au « château »… les fêtes de Noël et du Jour de l’An, vous comprenez…

— Irez-vous, Mme Brisant ?

— Si nous irons ?… J’vous crois ! comme dit L’Conteux, répondit Cédulie en riant.

— Nilka, disait, ce soir du 9 octobre, Estelle Delherbe à son amie, est-ce que ça ne vous coûte pas « un brin » de quitter L’épave ?

— Mais non, Estelle, répondit Nilka, souriant et rougissant, puisque je pars avec Paul.

— Sans doute ! Sans doute ! fit Estelle, riant, elle aussi. Ce que je voulais dire, c’est que L’épave est un véritable petit palais et…

— Du palais au château, la chute n’est pas grande, dit Renée Le Mouet, en souriant. Et puis, ça va être si beau, si beau, le mariage de demain ! Si vous voyiez l’église de Roberval, Nilka ! C’est une vraie serre !

— Et les magnifiques tapis en velours écarlate, partant du pied de l’autel et se rendant jusqu’au trottoir presque ! s’écria Estelle.

— Jusqu’au « parapette », tu veux dire, sans doute, Estelle, corrigea Renée, et tous de rire d’un grand cœur.

— Le… « parapette » ?… Mlle Renée ?… Expliquez-nous donc cela, je vous prie, demanda le notaire Schrybe.

— Je me rendais à l’église, hier, expliqua Renée, et ayant demandé mon chemin à un homme qui passait, il me répondit : « Le chemin est facile à trouver, mam’zelle ; suivez l’parapette, tout drette ».

— On en entend de drôles de choses, par ici ! s’écria Estelle.

— Oui, mais on s’y habitue, répondit Nilka. Et puis, comme me l’avait prédit Mme Brisant, ces régions… le lac St-Jean… on finit par les aimer.

— Nous y reviendrons, Nilka, ma chérie, dit Paul. L’épave n’est plus à vendre ; nous allons la garder, et si vous aimez à venir passer un mois ou deux de l’été au lac St-Jean, rien ne nous en empêchera, et notre demeure nous y attendra. Une demeure qui ne sera plus stationnaire ; une demeure qui nous transportera où il nous plaira d’aller. Quelles belles excursions nous ferons, sur les côtes du lac St-Jean, ma Nilka ! L’épave est grand, et il y aura toujours place pour nos amis, ajouta-t-il en souriant et s’adressant à tous ceux qui étaient présents.

— Ce sera charmant, idéal ! s’écrièrent-ils tous.

— Ainsi, tout est décidé, n’est-ce pas ? demanda Paul à sa mère ; dans huit jours, vous viendrez nous rejoindre, à la Banlieue, avec M. Lhorians, le Notaire et Mme Schrybe, et Mlles Estelle et Renée ?

— Oui, Paul, c’est entendu, et tout sera fait ainsi que tu le désires… que nous le désirons tous, reprit Mme Fiermont.

— Joël et Koulina suivront, quelques jours plus tard, lorsqu’ils auront remis tout en ordre sur L’épave, avant de l’abandonner pour l’hiver.

M. Fiermont, dit soudain Alexandre Lhorians, je crains beaucoup pour mon horloge de cathédrale ; si elle allait être endommagée, dans le transport !

— Ne craignez rien, M. Lhorians, répondit Paul. Votre horloge sera emballée avec grand soin, et je vous promets qu’il ne lui arrivera rien. Nous allons vous donner deux grandes pièces, dans le « château », ajouta-t-il ; l’une d’elle vous servira d’atelier ; l’autre sera votre chambre à coucher, et Joël sera attaché à votre service personnel.

— Merci, M. Fiermont, merci ! fit l’horloger. Je ne vous cacherai pas que je reverrai avec plaisir la collection d’horloges de votre défunt oncle, M. Delmas Fiermont. (On n’avait pas jugé nécessaire d’expliquer à Alexandre Lhorians les relations de parenté qui existaient entre Delmas Fiermont et Paul). C’est, reprit-il, la plus belle collection que j’aie vue… Et vous me permettrez, je l’espère, de m’occuper des horloges du « château » ; de les tenir toujours en bon ordre ?…

— Certainement, M. Lhorians, dit Paul.

— Voyez-vous, M. Fiermont, il n’y a rien qui m’impressionne désagréablement comme une horloge qui s’est arrêtée, ou qui ne marche plus… Cela me fait un singulier effet… L’horloge doit avoir une âme… du moins, elle a un cœur, continua le pauvre toqué, en s’exaltant un peu ; quand le cœur de l’horloge cesse de palpiter (que son balancier s’est arrêté, je veux dire) l’horloge n’est plus qu’un… cadavre, selon moi.