Page:Lacerte - Le bracelet de fer, 1926.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
LE BRACELET DE FER

peu inquiet, au sujet de mon compagnon… Je dors debout, presque.

— Eh ! bien, couchez-vous, mon ami… Le malade me paraît être toujours dans le même état ; je crains fort de ne pouvoir le tirer de là, le pauvre garçon !

À peine sa tête eut-elle touché l’oreiller, que Paul s’endormit profondément ; le fait est qu’il était littéralement épuisé. Vers le matin, il rêva qu’il était en chaloupe sur le lac Huron, avec Peter Flax et un canotier. Il faisait grand vent. L’embarcation roulait de tribord à bâbord, à un tel point que le policier fut précipité à l’eau. Le canotier qui les menait s’était jeté à l’eau, afin de sauver la vie au policier, mais celui-ci avait disparu… L’appel réitéré du canotier parvenait à Paul clairement :

— Monsieur Flax ! Monsieur Flax !

Soudain, il s’éveilla, et il vit, penché sur lui, le Docteur Shade, qui lui dit :

— Eh ! bien, M. Flax, j’ai eu beaucoup de difficulté à vous tirer de votre sommeil ! J’avais beau vous appeler, vous secouer par le bras ; rien n’y faisait… Mais, vous voilà éveillé enfin !

— Le… le malade ?… demanda Paul.

— Il se meurt, M. Flax… Pauvre garçon ! Il n’en a plus que pour quelques minutes à vivre.

En un clin d’œil, Paul fut debout et habillé.

— A-t-il repris connaissance ? demanda-t-il.

C’était, certes, une question très importante… Si le policier avait repris connaissance ? S’il avait parlé, durant la nuit ?…

— Non, le jeune Fairmount n’a pas repris connaissance un seul instant, et… je le répète, il se meurt !

Les deux hommes se dirigèrent hâtivement vers le lit sur lequel agonisait Peter Flax… Il semblait bien à Paul que le policier était dans le même état que la veille ; ni mieux, ni pire ; mais il y a des signes auxquels un médecin ne saurait se tromper, et cinq minutes ne s’étaient pas écoulées que l’agonisant exhalait son dernier soupir…

« Le Roi est mort ; vive le Roi » ! C’était le cas de le dire… Peter Flax était mort ; mais Paul Fairmount prenait sa personnalité… et le plus difficile lui restait à faire… De s’être fait passer pour le policier auprès d’étrangers, qui n’avaient aucune raison de le soupçonner, voilà qui était très facile ; mais, là-bas, au Cap Hurd, ce serait une toute autre affaire !… Cependant, Paul avait pris toutes les précautions imaginables, et il était convaincu qu’il pourrait tromper tout le monde.

Tout d’abord, il insista pour ensevelir, lui-même, Peter Flax… Il y avait ce bracelet de fer au bras du policier, auquel était rivée la chaîne… Comment expliquer cela au Docteur Shade ?…

— Comme vous voudrez, M. Flax, répondit le médecin. J’aurais préféré vous épargner la tâche d’ensevelir le jeune Fairmount, car je vous crois quelque peu menacé d’une prostration nerveuse, dans ce moment… Mais, faites ainsi qu’il vous plaira… Il sera enterré cet après-midi et…

— Cet après-midi ! s’écria Paul, que cette nouvelle soulageait beaucoup. Je croyais qu’il serait transporté au Cap Hurd…

— Impossible, M. l’Officier, impossible ! répondit le Docteur Shade. Voyez-vous, pour une raison ou pour une autre, les fièvre des dunes, dont vient de mourir votre prisonnier, sont considérées comme contagieuses, quoique, vous le pensez bien, elles ne le sont nullement. Or, je ne puis risquer de jeter la panique dans cet établissement, en gardant ce cadavre, même jusqu’à demain, et puis, aucun canotier ne se chargerait de le transporter au Cap Hurd, ni pour or, ni pour argent… Ne vous inquiétez de rien, cependant, ajouta le médecin ; en même temps que votre rapport, une lettre de moi sera remise aux autorités, expliquant tout.

En effet, quand, le lendemain, le rapport de Paul, signé « Peter Flax » partit pour le Cap Hurd, partait aussi la lettre promise. Le Docteur Shade prenait, écrivait-il, toute la responsabilité d’avoir fait enterrer immédiatement le prisonnier Fairmount. De plus, il annonçait aux autorités qu’il se voyait obligé de retenir chez lui, pour quelques semaines au moins, le policier Peter Flax, celui-ci étant menacé d’une prostration nerveuse, amenée par les évènements assez dramatiques qui venaient de se passer.

Inutile de dire quel extraordinaire soulagement éprouva Paul lorsque le médecin lui lut cette lettre, au moment de le remettre au canotier-courrier. Son départ pour le Cap Hurd retardé !… Cela lui donnerait le temps de se faire à la présente situation et d’entrer avec plus de perfection dans son rôle de Peter Flax, le policier.