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L’OMBRE DU BEFFROI

été caché le… cadavre de Monique et elle déposa sur la poitrine de la petite un riche médaillon… Ce médaillon, le voilà… Le reconnaissez-vous, père ?

— Si je le reconnais ! s’écria Henri Fauvet. Ce médaillon, que j’avais donné à Ondine, le jour de sa fête, elle prétendait l’avoir perdu… Il contient, je m’en souviens, son portrait et le mien.

— Ils sont encore là ces portraits, père ; de plus, dans un compartiment secret, vous trouverez un petit billet écrit par notre mère, et qu’elle mit elle-même, dans le médaillon, au moment de déposer ce bijou sur la poitrine du petit cadavre.

— Mon Dieu ! Que c’est étrange ce récit que vous venez de nous faire, Monique ! s’exclama Mme de Bienencour.

— Et combien il nous tarde d’en entendre le reste ! fit le Docteur Carrol.

— Je vais tout vous raconter, répondit Monique en souriant, car c’est, comme le dit Mme de Bienencour, un très étrange drame que celui qui s’est déroulé dans la maison de Febro, il y a dix-huit ans !


CHAPITRE IX

CE QUI S’ENSUIVIT


Voici les faits, tels que Monique les raconta à ceux qui l’écoutaient, avec un palpitant intérêt :

Après le départ de Mme Fauvet, Febro resta longtemps accoudée à la fenêtre, regardant la route sur laquelle venait de disparaître sa chère Mlle Ondine. Des larmes pressées coulaient sur ses joues, en songeant au drame qui venait de se dérouler sous son toit. Les remords qu’elle éprouvait pour le « crime » commis, seraient impossibles à décrire. Elle se reprochait amèrement d’avoir cédé aux instances de sa chère maîtresse ; elle se dit qu’elle aurait dû essayer de lui faire entendre raison plutôt… Ah ! si elles avaient dit, toutes deux, à M. Fauvet que la petite jumelle était morte d’une congestion pulmonaire, tout simplement !… Mais, il était trop tard ; ce qu’il restait à faire maintenant, c’était d’effacer. le plus tôt possible, toute trace du court passage de Monique ici-bas.

Pourtant, la fidèle servante était résolue à une chose ; elle ferait partager son secret par son fiancé… À lui de juger si le « crime » commis était sans rémission. Febro le savait, Cyril Florentin était honnête et droit ; elle se laisserait guider par ses conseils, même au risque de déplaire à sa chère Mlle Ondine.

Pour le moment, il lui restait une assez lugubre tâche à accomplir : celle d’enterrer le petit cadavre sous un saule pleureur… à l’ombre duquel Mme Fauvet aimait à s’asseoir. Elle allait s’en occuper, tout de suite. Inutile d’attendre à la nuit, car il n’y avait aucun danger d’être vue, par qui que ce fut, personne ne passant jamais sur le chemin privé conduisant à sa maison. Le plus tôt fait, le mieux ce serait !

Dans le hangar, Febro trouva une petite caisse, qu’elle emporta dans la cuisine, et qu’elle matelassa de serviettes bien blanches ; ce serait le cercueil de Monique, rude cercueil, bien sûr, qu’elle déposa sur le plancher. S’étant munie, ensuite, d’une pelle, d’une pioche et d’un râteau, elle se dirigea vers le saule pleureur et se mit à creuser la petite fosse. Ses larmes tombaient silencieusement sur chaque pelletée de terre qu’elle enlevait ; il lui semblait que son cœur allait se briser.

La fosse étant prête, elle rentra dans la maison et se disposa à aller chercher le petit cadavre. Arrivée à la moitié de l’escalier conduisant à sa chambre à coucher, elle s’arrêta et porta la main à son cœur ; c’est qu’elle avait cru entendre le faible vagissement d’un enfant.

— Que je suis sotte ! se dit-elle. Pendant longtemps encore, je croirai entendre pleurer les petites… Allons ! Il ne faut pas que je m’énerve, car que sera-ce, ce soir, à la brunante, lorsque je me trouverai seule ici… avec mon « crime » ?

S’étant raisonnée ainsi, elle parvint à la porte de sa chambre, qu’elle ouvrit… Soudain, elle devint très pâle, et fit un mouvement de recul, comme pour se précipiter dans l’escalier… C’est que le petit cadavre venait d’agiter ses mignonnes mains, tandis qu’un faible vagissement s’échappait de ses lèvres.

— Ciel ! Ô ciel ! s’écria Febro. Elle fit quelques pas dans la direction du lit, au pied duquel elle tomba, évanouie.

L’évanouissement de Febro ne dura que quelques instants. Quand elle revint à elle, Monique pleurait.

— Grand Dieu ! s’exclama-t-elle. L’enfant vit ! Elle… elle est… ressuscitée !… C’est… un… miracle !…

Bien vite, et sans se demander comment s’était opéré semblable prodige, elle saisit l’enfant dans ses bras et l’emporta dans la cuisine. En un tour de main, elle fit chauffer du lait, que Monique but avidement.

L’explication de ce… miracle, le seul qu’on puisse donner c’est celle-ci : Monique n’était pas morte, nécessairement ; le souffle suspendu, les poumons congestionnés, elle était seulement tombée dans une sorte de coma, qui avait trompé sa mère et Febro. Cette dernière avait, hâtivement emporté la petite dans sa chambre à coucher, qui était sous les combles, et où la chaleur était intolérable. Cet excès de chaleur avait eu sur la petite un effet salutaire ; lentement et sûrement, ses poumons s’étaient dégagés et elle était revenue à la vie.

Cependant, cette… résurrection n’était-ce pas, en quelque sorte, pire que la mort ?… L’enfant vivrait, et sa mère, sa pauvre mère coupable, là-bas, dans la ville de Québec, ne le saurait jamais… L’autre jumelle. Marcelle, serait élevée dans le luxe, tandis que Monique… Que faire ?…

Un mois plus tard, Febro épousait Cyril Florentin, puis, sur le conseil de celui-ci, elle écrivit à Mme Fauvet, pour lui annoncer une lettre prochaine « importante et remplie de nouvelles ».

— Ah ! cette lettre ! s’écria Henri Fauvet. Je m’en souviens bien… Lorsque je la remis, ouverte, à ma femme, elle s’évanouit.

— C’est que, voyez-vous, père, répondit Monique, elle avait craint que Febro eut fait allusion dans cette lettre… au drame qui s’était déroulé chez elle. Voici la réponse de Mme Fauvet à sa servante ; si vous vouliez bien la lire tout haut, c’est la preuve incontestable