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L’OMBRE DU BEFFROI

saient des fleurs, elle se mit à remuer la terre, avec une petite truelle.

— Vous plantez des fleurs, Mlle  Fauvet ? fit, soudain, la voix d’Iris Claudier.

Marcelle, qui s’était crue bien seule sur la terrasse, ne put s’empêcher de crier, et la truelle qu’elle avait tenue à la main, tomba sur le sol.

— Mon Dieu, que vous êtes nerveuse, Mlle  Fauvet ! dit Iris, avec un rire désagréable.

— Je ne vous avais pas entendue venir, et votre voix m’a surprise, répondit Marcelle. Oui, continua-t-elle, je suis à planter des muguets. Mlle  Claudier.

— Des muguets ! Vraiment !… Ah !…

— Y a-t-il quelque chose d’étonnant à ce que je plante des muguets ?

— D’étonnant ? Oh ! non, sans doute, du moment que vous ne connaissez pas la superstition concernant ces fleurs.

— La superstition ?… Non, je ne la connais pas… et ça ne m’intéresse guère, Mlle  Claudier. Je ne suis nullement superstitieuse.

— Vous dites que vous n’êtes pas superstitieuse ! Vous ! Si je me souviens bien, nous avons été éveillés, une nuit, par un terrible cri, que vous aviez poussé… Vous aviez vu, prétendiez-vous, l’Ombre du Beffroi, l’ombre du moine, penché sur vous et vous regardant dormir. Ha ha ha ha ! Pas superstitieuse, vous !… Mais, à propos de ces fleurs ; on dit que, « qui plante des muguets meurt durant l’année ».

— Vraiment ! fit froidement Marcelle.

— Peut-être que la mort ne vous effraie pas, Mlle  Fauvet ? ricana Iris. Il est vrai qu’il est pires éventualités que la mort…

Marcelle pâlit ; elle savait si bien ce à quoi Iris faisait allusion.

— Une personne qui perdrait la raison, par exemple, serait, ne trouvez-vous pas, plus à plaindre que celle que réclamerait la mort ?

— Vous avez d’assez lugubres sujets de conversation, Mlle  Claudier ! répondit Marcelle, en souriant tristement.

Elle savait ce dont elle était menacée la pauvre enfant, elle le savait depuis qu’elle avait été témoin de la conversation entre Dolorès et Iris, il y avait déjà près de deux semaines. Sa raison lui échappait ; sa mémoire s’en allait. Elle perdait connaissance pour un rien, les crises de lassitude et de vertige allaient se multipliant et elle ressentait, presque continuellement, des élancements dans la tête ; au point que c’était devenu intolérable. Le bon Dieu n’aurait-il pas pitié, et ne l’appellerait-il pas à Lui, avant que le malheur prévu fondit sur elle ?… Son père… Son fiancé… Quelle affreuse peine ils ressentiraient !… Hélas ! le malheur redouté semblait s’approcher, chaque jour… L’incident de la blessure de Raymond Le Briel… Elle n’avait pas compris… elle ne s’était pas souvenue… et elle n’avait pas osé questionner, même son père…

Des larmes pressées coulèrent sur ses joues. Heureusement, Iris Claudier s’était éloignée ; elle ne put voir pleurer sa victime ; combien cela l’eut réjouie, la méchante !

— Vous pleurez, ma bien-aimée ?

C’était la voix de Gaétan. Il venait d’arriver de chez le Docteur Carrol ; ne trouvant pas Marcelle dans la maison, il était venu à sa recherche.

Aux accents de Gaétan, elle leva la tête, et, hâtivement essuya du revers de sa main les larmes inondant son visage.

— Qu’y a-t-il, Marcelle chérie ?

— Rien. Oh ! rien, Gaétan ! Un petit accès de tristesse, je crois.

— De tristesse ?… On ne saurait être triste sans cause, et comment vous, l’idole de votre père…

— N’en parlons plus, Gaétan, voulez-vous ? fit Marcelle, essayant de sourire. C’est passé d’ailleurs… Comment les avez-vous laissés tous, chez le Docteur Carrol ?

— En parfaite santé et de joyeuse humeur. Ils m’ont chargé de saluts pour vous, votre père, tante Paule et Mlle  Lecoupret.

— Ah ! voilà petit père, Mme  de Bienencour et Dolorès !… Ne dites pas à père que j’ai pleuré, je vous prie, Gaétan ; il en serait peiné et inquiet. Lui qui me gâte, qui ne vit que pour moi.

— Marcelle, fit Gaétan, en attirant la jeune fille vers un banc et s’asseyant près d’elle, savez-vous, je crois que la solitude qui vous entoure ici, agit sur vous d’une façon étrange…

— Étrange !… répéta Marcelle.

Elle n’aimait pas ce mot. Iris Claudier ne l’avait-elle pas prononcé, en parlant d’elle, plus d’une fois ?… Est-ce que, vraiment, elle était étrange ?…

— Oui, ma bien-aimée, je crois que la solitude de ces régions n’est pas bonne pour vous. Vous êtes trop jeune — et trop belle — Marcelle, pour vivre ici, loin du monde et de ses gaietés.

— Mais, Gaétan, répondit-elle, j’ai toujours été heureuse ici. Je raffole du Beffroi et j’aime l’agreste nature qui l’entoure. Nous avons d’excellents voisins ; les Carrol, M. Le Briel, M. Cyr…

— Tout de même, il vous faudrait plus de vie et de distractions… Épousez-moi, ma Marcelle ! Nous passerons, à Québec la saison d’hiver, puis nous reviendrons dans le Nipissingue, chaque été… N’est-ce pas, mon aimée, que vous deviendrez ma femme bientôt ? Pourquoi ne nous marierions-nous pas le même jour que Dolorès et Gaston ?… Dites oui, mon ange adoré !

— Me marier ! Jamais ! cria la jeune fille, puis elle éclata en sanglots.

— Marcelle ! s’exclama Gaétan, au comble de l’étonnement.

— Vous ne savez pas ce que vous me demandez. reprit Marcelle. Vous ne sauriez comprendre que c’est impossible… Vous épouser, Gaétan ! Mais, ce serait commettre un… crime !

— Je… Je ne comprends pas, Marcelle, balbutia le jeune homme. Que signifie, ma pauvre enfant ?

— Je ne puis rien vous expliquer, rien… Mais, qu’il ne soit plus question de ces choses entre nous, Gaétan ; ça me… torture inutilement.

— Ah ! fit Gaétan. Je crois comprendre enfin… Et, Marcelle, ne serait-ce pas préférable qu’il existât une entière franchise entre nous ?… Il y a certaines explications… à propos de l’accident arrivé à M. Le Briel, l’entorse qu’il s’est faite, je veux dire… Puis, le soir des tableaux vivants…

— Non ! Non ! cria Marcelle, dont les yeux se remplirent de frayeur. Je vous en prie, ne