Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
L’OMBRE DU BEFFROI

main, quand Raymond arriva au Beffroi, et le premier visage qu’il aperçut, ce fut celui de Marcelle. Appuyée sur une clôture, elle causait avec Gaétan de Bienencour.

M. Le Briel ! s’écria-t-elle. Enfin ! Vous voilà de retour !

Aucune trace d’émotion, excepté celle du plaisir de la revoir, ne se lisait sur les traits de la jeune fille, et, s’il faut tout dire, Raymond en fut fort déçu. Il l’avait tant adorée, la veille, lorsque, légèrement émue, peut-être, elle n’avait pas repoussé ses caresses !

— J’espère que je vous retrouve en excellente santé, Mlle Fauvet ? fit-il d’une voix qui tremblait un peu.

— Merci, je me porte à merveille, répondit-elle. M. Le Briel, ajouta-t-elle, je vous présente M. de Biennencour. M. de Bienencour, M. Le Briel.

— Le Briel ! Nous sommes de vieilles connaissances M. Le Briel et moi, Mlle Marcelle. Je vous l’ai dit, je crois ?

Henri Fauvet s’approchait, accompagné de Mme de Bienencour.

— Le Briel ! s’écria-t-il. Vous êtes le bienvenu.

— Merci, M. Fauvet, répondit Raymond.

Mme de Bienencour, reprit Henri Fauvet, je vous présente M. Le Briel, notre voisin et ami. M. Le Briel, Mme de Bienencour, la marraine de ma fille.

Mme de Bienencour tendit spontanément la main au jeune homme ; c’est qu’elle l’avait aimé tout de suite ce garçon au regard si honnête et si franc.

Les autres invités, voyant qu’il se passait quelque chose, s’approchèrent, et les présentations furent faites, de part et d’autre. Raymond connaissait aussi, pour être allé au collège avec eux, Réal et Léon.

M. Le Briel, dit Yolande, il y a longtemps que nous vous connaissons ; nous avons entendu parler de vous si souvent !

— J’espère que vous n’avez rien entendu qui soit trop à mon détriment, Mlle Brummet ? fit Raymond.

— Bien… répondit Yolande, feignant d’hésiter un peu, c’est Monsieur et Mlle Fauvet, Dolorès, Olga et Wanda qui nous ont parlé de vous et

Raymond sourit.

— Je suis rassuré, alors, dit-il ; entre les mains de ceux que vous venez de nommer, ma réputation n’a pu souffrir.

— Venez, Le Briel, dit Henri Fauvet ; je vais vous conduire à votre chambre tout de suite.

Tout en cheminant, le père de Marcelle annonça ;

— Nous vous attendions pour donner un banquet ; celui des fiançailles de ma…

— Pardon, M. Henri, fit V. P., qui venait de les rejoindre, mais Mme Emmanuel demande si le souper devra être servi à l’heure habituelle ?

— Oui, oui ! Et qu’elle soigne la crème espagnole : c’est le mets favori de M. Le Briel.

— Bien, M. Henri ! répondit V. P. en se retirant.

— Vous parliez d’un banquet de fiançailles ? demanda Raymond, d’une voix tremblante.

— Ah ! oui, et ce sera demain.

— Les fiançailles de ?…

— De ma fille…

— De… de votre… fille, dites-vous, M. Fauvet ?

— De ma seconde fille ; de Dolorès, je devrais dire, répondit Henri Fauvet en souriant. Elle épousera, à l’automne, le fils de mon meilleur ami, Gaston Archer.

— Ah ! s’exclama Raymond, avec un soupir de soulagement.

— Je vous l’ai dit déjà, Le Briel, le père de Dolorès, le père de Gaston, et moi, nous formions, jadis, un inséparable trio… Ah ! Mlle  Claudier ! fit Henri Fauvet, car cette demoiselle descendait l’escalier en spirale, au moment où les deux hommes se préparaient à monter à l’étage supérieur. Mlle Claudier, je vous présente M. Le Briel, M. Le Briel, Mlle Claudier, la jeune parente de Mme de Bienencour.

Iris leva les yeux au plafond, puis les ferma complètement.

— Quel laideron ! se dit Raymond. Et pourquoi ferme-t-elle les yeux ainsi ?… Désagréable et prétentieuse, pardessus le marché, pauvre fille !

— Un des admirateurs de Marcelle Fauvet, se disait Iris. Mais, patience ! Bientôt, je changerai tout cela !

Durant la veillée, on dansa, et Raymond eut l’heureuse chance de valser avec Marcelle, puis de la conduire sur la terrasse.

— Quelle admirable soirée, n’est-ce pas, M. Le Briel ? s’écria t-elle. La lune éclaire comme en plein jour. Voyez : le Beffroi projette ses rayons sur toute la terrasse.

Mlle Marcelle, dit gravement Raymond, vous m’avez défendu de…

Mais elle ne l’écoutait pas ; pâle, les yeux démesurément ouverts, elle désignait du doigt le clocher du Beffroi, dont l’ombre se clairement.

— L’Ombre du Beffroi !. L’Ombre du Beffroi ! balbutia-t-elle.

Suivant la direction de ses yeux, Raymond vit, dans l’ombre projeté par le clocher du Beffroi, une chose qui le cloua sur place d’étonnement et de superstitieuse terreur ; un moine était là, debout. On distinguait parfaitement sa robe de bure, retenue à la taille par un cordon, dont les bouts flottaient au vent. La tête du moine était entièrement recouverte d’un capuchon.

— L’Ombre du Beffroi ! répéta-t-il, sans trop s’en rendre compte.

M. Le Briel, j’ai peur ! s’exclama Marcelle, en se cramponnant au bras du jeune homme.

Leurs yeux, à tous deux, se portèrent sur le clocher ; mais l’Ombre avait disparu.

— Entrons, dit Marcelle, avant qu’elle apparaisse encore !

Sans attendre Raymond, elle partit à la course, vers le salon. Gaétan s’empressa de venir à sa rencontre.

— Qu’y a-t-il, Marcelle ? s’écria-t-il. Vous êtes bien pâle ? Quelque chose a dû vous effrayer ?

— Qu’y a-t-il, ma chérie ? demanda Henri Fauvet.

Mais la jeune fille, ne voulant pas causer une panique parmi leurs invités, refusa de dire ce qui l’avait effrayée.

— Ma frayeur est passée maintenant, père, dit-elle, essayant de sourire. Je vous raconterai tout… plus tard… quand nous serons seuls, tous deux, ajouta-t-elle, tout bas.