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L’OMBRE DU BEFFROI

parler ; le Docteur l’a expressément défendu !

Le Docteur Carrol entrait, à ce moment.

— Ne vous inquiétez de rien, M. Le Briel, fit-il ; chez-vous sont avertis et…

— Mais… depuis combien de temps suis-je ici ? demanda Raymond.

— Depuis… eh ! bien, depuis six jours, M. Le Briel.

— Six… quoi ?… Six jours !

— Oui. Vous avez été un peu malade… Encore une fois, ne vous inquiétez de rien. Prenez cette potion, et dormez.

Le fait est que notre jeune ami avait eu un commencement de fièvre cérébrale, et maintenant. son secret était connu de tous au Grandchesne.

— Marcelle !… Marcelle !…

Ce nom avait été constamment sur ses lèvres ; mais personne de ceux qui comprenaient ses sentiments ne trahirait son secret. Seulement, Olga et Wanda éprouvaient beaucoup de sympathie pour le jeune homme, car elles savaient bien que Marcelle ne ressentait pour Raymond Le Briel que la plus franche et la plus sincère amitié.


CHAPITRE VIII

L’OMBRE AU TABLEAU


Quinze jours se sont écoulés.

Raymond était retourné chez lui, complètement guéri. Actuellement, il était en voyage ; on l’attendait dans deux jours.

Sept heures du soir viennent de sonner dans le clocher du Beffroi. Dans la salle à manger de l’ancienne abbaye, une nombreuse compagnie est réunie. À l’une des extrémités de la table Henri Fauvet est assis. À l’autre bout de la table… Mais… quelle est donc cette dame, aux cheveux blancs, aux traits fins et délicats, aux manières distinguées ?… N’est-ce pas Mme de Bienencour ?… N’avait-elle pas juré ses grands dieux de ne jamais mettre le pied au Beffroi, dont le nom « lui donnait froid »?… C’est bien elle pourtant qui fait vis-à-vis au maître de la maison. À sa droite est Marcelle, puis Gaétan de Bienencour. Ensuite, c’est Yolande Brummet et Réal du Tremblaye, Wanda Carrol et Fred Cyr. À la droite de Henri Fauvet, on peut voir Dolorès et Gaston Archer, puis Jeannine Brummet et Léon Martinel. À côté de Léon et voisine de Mme de Bienencour, est Iris Claudier.

Quand Henri Fauvet avait lancé des invitations à leurs amis de Québec, pour un séjour au Beffroi, il s’était dit qu’il demanderait à Mme de Bienencour de bien vouloir chaperonner tout ce jeune monde.

— Marcelle, avait-il dit, j’allais oublier d’inviter aussi Mlle Claudier.

— Oh ! M. Fauvet, s’était écriée Dolorès, n’invitez pas cette fille ! Pourquoi une ombre au tableau si parfait que vous venez de nous tracer ?

— Mais, Dolorès, répondit Henri Fauvet, je ne puis faire autrement que de l’inviter cette jeune parente de Mme de Bienencour !

— Je le répète, M. Fauvet, fit Dolorès, Iris Claudier ce sera l’ombre au tableau. Je la déteste cette personne, qui, elle, déteste Marcelle et lui veut du mal.

— Détester Marcelle ! Lui vouloir du mal ! Impossible !

— Chère Dolorès, dit Marcelle, pourquoi Mlle Claudier me détesterait-elle ?… Je la connais à peine ; conséquemment, je ne lui ai jamais fait de tort de ma vie.

— Je sais ce que je dis, Marcelle ! répondit Dolorès, d’un ton impatienté… Iris Claudier te hait, et… elle est dangereuse, je crois.

— Espérons que tu te trompes, chère enfant ! s’exclama Henri Fauvet. Car je ne puis pas m’exempter de l’inviter.

— Eh ! bien, il faut de l’ombre au tableau ! ceci de Dolorès. Peut-être que je me trompe au sujet de cette fille ; espérons-le.

Et Iris Claudier avait été invitée à accompagner Mme de Bienencour au Beffroi… L’ombre au tableau… N’était-ce pas plutôt le serpent dans l’herbe ?

— Demain, à cette heure-ci, Olga et le Docteur Karl seront avec nous, dit Marcelle, soudain, alors qu’on était tous réunis, le soir de l’arrivée des invités, dans la salle à manger du Beffroi. Chère Olga !

— Oui, répondit Dolorès. Mais, en attendant, nous sommes treize à table… L’avez-vous remarqué ? ajouta-t-elle, en s’adressant à tous.

— Tiens ! C’est vrai ! s’écria Yolande, en comptant rapidement.

— Espérons qu’il n’y a pas de Judas parmi nous ! dit gravement Dolorès, tandis que ses yeux se fixaient sur Iris Claudier.

Iris soutint, aussi longtemps qu’elle le put, le regard de l’amie de Marcelle, mais enfin, elle rougit et ferma les yeux.

— Dolorès ! réprimanda Henri Fauvet. Je n’aime pas t’entendre parler ainsi, ma fille !

— Je vous demande pardon alors, cher M. Fauvet, et je ne recommencerai plus. Dorénavant, je garderai mes réflexions pour moi seule… Que voulez-vous ?… Le nombre treize m’effraie un peu, quoique je ne sois pas du tout superstitieuse. Et Dolorès frissonna.

— Le nombre treize n’a rien d’effrayant dans les présentes circonstances, ma fille, dit, en souriant, Henri Fauvet.

— Espérons le ! dit la jeune fille qui, encore une fois, jeta sur Iris un regard perçant.

Après le souper, ce soir-là, tous se rendirent sur la terrasse, et bientôt, Marcelle et Gaétan, Dolorès et Gaston, Wanda et Fred, Jeannine et Léon se dirigèrent vers la rivière, tandis que l’autre jeune couple, Mme de Bienencour et Henri Fauvet continuaient à causer entr’eux. Iris, un peu éloignée des autres, lisait, assise sur un banc.

— M. Fauvet, dit Mme de Bienencour, soudain, en désignant les jeunes gens qui s’acheminaient vers la Rivière des Songes, j’espère que, lorsque nous retournerons à Québec, Marcelle et Gaétan seront fiancés.

— Je n’y ai nulle objection, chère Madame, répondit, en souriant, le père de Marcelle.

— Il y a ce Monsieur Le Briel… Ne courtise-t-il pas ma filleule ?

— Certes non ! s’écria Henri Fauvet. M. Le Briel est un charmant voisin, un bon et dévoué ami de nous tous ici ; voilà tout.

— Il est absent, me dit-on ?

— Il sera de retour après-demain, et il arrivera tout droit ici… Vous l’aimerez, Mme de Bienencour, je le prédis d’avance ; tout le monde aime Raymond Le Briel.

— Du moment qu’il n’essayera pas de couper l’herbe sous les pieds de Gaétan, je suis bien disposée à aimer votre jeune voisin…