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L’OMBRE DU BEFFROI

tan lui présenta un énorme bouquet de muguets, et le cri de surprise et de joie avec lequel ses fleurs furent accueillies, lui prouva, une fois de plus, combien la jeune fille aimait les muguets. De fait, Gaétan allait toujours, désormais, associer le souvenir de Marcelle à ces délicates fleurs. Sa Marcelle ! Son adorée !

— Oh ! merci, M. de Bienencour ! s’écria Marcelle, en recevant les fleurs des mains du jeune homme.

Les deux jeunes gens formaient, pour ainsi dire, un groupe isolé, sur la plate-forme de la gare, en ce moment, car Henri Fauvet et les autres causaient, en riant, un peu plus loin.

— Ce sont vos fleurs préférées, n’est-ce pas, Mlle Fauvet ?

— Qui vous l’a dit, M. de Bienencour ? demanda Marcelle en souriant. Oui, le muguet est la fleur que je préfère, entre toutes. Père dit que j’ai hérité de ce goût de ma mère ; elle aimait passionnément les muguets, parait-il. Il est admirable aussi, ne trouvez-vous pas, cet humble petit lys des champs ?… Savez-vous le nom poétique que l’on donne au muguet, en France ?

— Non, je ne le sais pas, répondit Gaétan ; mais je serais heureux de m’instruire.

— Eh ! bien, en France, on donne au muguet le nom poétique de : « larmes de la Vierge ».

— C’est, en effet, fort poétique et délicat, ce nom !

— Un de ces jours, M. de Bienencour, je vous lirai quelques pensées que j’ai écrites sur le muguet.

— Vraiment ! Oh ! qu’il me tarde de les entendre lire ! C’est promis, n’est-ce pas, Mlle Fauvet ?

— Oui, c’est promis… Mais, je crois que vous aurez le temps d’oublier ma promesse, d’ici à ce que nous nous rencontrions, dit Marcelle, non sans un peu de coquetterie.

Oublier ! s’écria Gaétan. Pourrai-je oublier jamais… tout ce qui vous concerne !… En retour, puis-je espérer ?… De grâce, je vous le demande, ne m’oubliez pas complètement ! Moi, voyez-vous… moi…

All aboard ! cria le conducteur du train, par lequel partaient les Fauvet.

— Je… ne vous… oublierai pas… balbutia Marcelle, d’une voix émue, et abandonnant, un instant, sa main à Gaétan.

Enfin, le train partit.

Mais, Gaétan de Bienencour emporta dans son cœur la vision de Marcelle, debout, sur la plate-forme du wagon, lui faisant un signe d’adieu, puis enfouissant soudain son joli visage, tout attristé, dans le bouquet de muguets qu’il lui avait donné.


CHAPITRE VII

UN QU’ON CROYAIT NE PLUS REVOIR


Après le départ de Marcelle, Gaétan eut voulu partir, en exploration lointaine ; mais Mme de Bienencour était malade, d’une sorte d’influenza, accompagné de rhumatisme articulaire, et c’eut été presque brutal de la quitter. De plus, la marraine de Marcelle avait fait comprendre à son neveu qu’il se devait à la société et qu’il était de son devoir de se rendre aux invitations écrites, qui s’accumulaient sur son pupitre.

Inutile de le dire, Gaétan de Bienencour était très recherché, et non sans raison ; n’était-il pas le plus aimable, le plus gentil garçon, et le meilleur parti de la ville de Québec ?

Il resta donc chez sa tante, mais il fuyait le boudoir de Mme de Bienencour, dans lequel se tenait habituellement Iris Claudier. Si la jeune fille arrivait dans une pièce où il se trouvait, vite il se retirait, sous un prétexte quelconque : il ne pouvait la souffrir.

Iris n’avait pas tardé à constater qu’elle avait fait une colossale gaffe, le soir du bal. Sous l’impulsion de la haine que lui inspirait Marcelle, elle avait dit des choses, qu’elle regrettait, maintenant qu’il était trop tard, non à cause du tort qu’elle aurait pu faire à la filleule de sa vieille parente, mais à cause de l’effet que son langage avait eu sur Gaétan. De fait, elle était presque au désespoir, en constatant le tort qu’elle s’était fait à elle-même, dans l’esprit du jeune homme. Il la fuyait. Il n’était plus le temps où il la nommait joyeusement ; « Cousine Iris » (cela lui avait toujours fait battre le cœur, jadis). Les aimables causeries ensemble étaient finies ! Finies aussi les promenades en voiture ou à cheval, finies, les soirées passées au théâtre !

Injustement, Iris rendait Marcelle responsable de ce qui se passait, et sa haine contre celle-ci allait s’augmentant, de jour en jour. Elle se dit qu’elle saisirait la première occasion qui se présenterait pour se venger de « cette poupée », qui lui avait enlevé le cœur de Gaétan. Pauvre fille ! Comment avait-elle pu croire, même un instant, que ce jeune homme, si fêté, si recherché, si favorisé, de toutes manières, eut songé à lui faire la cour, à elle, si mal partagée sous le rapport de charmes ?

L’état de Mme de Bienencour allant s’empirant, Gaétan lui dit, un jour, qu’il lui tenait compagnie, dans son boudoir, Iris étant sortie.

— Tante Paule, nous allons faire venir un médecin ! Oui, je sais, vous n’y tenez pas, mais…

— Vois-tu, Gaétan, répondit-elle, mon médecin est absent et je préfère attendre son retour.

— Impossible, chère tante ! fit Gaétan. Vous souffrez… et vous devriez être au lit, enveloppée de moelleuses couvertures et entourée de sacs d’eau chaude.

— C’est précisément cela, mon neveu ! dit Mme de Bienencour, en riant. Vois-tu, le Docteur Miguel me connait ; il sait que je ne veux pas me mettre au lit, car je crains toujours de ne plus me relever.

— Allons ! Allons, tante Paule ! Je vous en prie !… Consentez à ce que j’aille chercher un médecin, voulez-vous ?… Je ne vous cacherai pas que votre état m’inquiète quelque peu… Je pars, et ne reviendrai qu’accompagné d’un disciple d’Esculape, dit Gaétan, en souriant.

— Comme tu voudras, cher enfant ! fit Mme de Bienencour, en haussant légèrement les épaules.

Lorsque Gaétan revint, au bout d’un quart d’heure à peu près, li était accompagné du Docteur Nippon.

On se souvient du Docteur Nippon ? Nous l’avons vu, plus d’une fois, au chevet de cette pauvre Ondine Fauvet.