Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
L’OMBRE DU BEFFROI

Oui, Marcelle rêvait, et elle sanglotait, dans son rêve…

— Le tunnel ! Le tunnel ! disait-elle. Oh ! Quel endroit épouvantable ! Le train ! Voici le train ! Il vient si rapidement !… Que faire, mon Dieu, que faire ?… Ô ciel, que c’est affreux !

Bien vite, je l’éveillai, puis je lui demandai de me dire ce qui l’avait tant effrayée, durant sa promenade dans la forêt.

— Tu parlais d’un tunnel, lui dis-je, puis d’un train, qui venait rapidement… Dis-moi, Marcelle…

— Dolorès, interrompit-elle, je te prie de ne jamais mentionner le tunnel ; ça m’énerve horriblement, et père… Tiens, mon amie, si tu le veux bien, il ne sera plus question de ma promenade d’hier, dans la forêt. Je… Je… et elle fondit en larmes, pauvre Marcelle.

Voilà tout ce que je sais, à propos du Tunnel du Requiem, M. de Bienencour. C’est un sujet tabou entre Marcelle et moi, acheva Dolorès, en souriant.

— Je m’en souviendrai ! dit Gaétan, souriant à son tour. Ah ! voilà déjà la ville, et voici la rue où j’ai affaire, ajouta-t-il, désireux de quitter Dolorès et Gaston, car il craignait d’être de trop.

— Nous nous reverrons chez M. et Mlle Fauvet, dimanche, c’est-à-dire après demain, n’est-ce pas, M. de Bienencour ?

— Certainement ! répondit Gaétan. N’oublie pas que je t’attends, ce soir, Archer, ajouta-t-il. Au revoir, Mlle Lecoupret !

Tout en cheminant, Gaétan repassait dans sa mémoire le récit que Dolorès venait de lui faire, et, plus que jamais, il était résolu d’attendre qu’il eut connu Marcelle plus intimement, pour aborder le sujet du tunnel. Un jour… plus tard, ils en causeraient ensemble ; car Gaétan espérait bien que leur connaissance, à tous deux, n’en resterait pas où elle en était alors. Il aimait Marcelle et, si Iris Claudier avait menti, en affirmant que la filleule de Mme de Bienencour était fiancée avec Raymond Le Briel, il essayerait de se faire aimer. Quelle femme exquise elle ferait ! Il serait heureux, vraiment, celui qui parviendrait à toucher le cœur de cette douce et admirable enfant !

De retour aux Terrasses, Gaétan rencontra Iris Claudier dans le corridor ; il la salua gravement et silencieusement, ce qui fit que la jeune fille porta la main à son cœur, et une expression de réelle douleur se peignit sur son visage. Ah ! combien elle regrettait d’avoir parlé de Marcelle comme elle l’avait fait, le soir du bal ! Gaétan ne lui pardonnerait jamais !

Mais, nous nous occuperons, plus tard, de la secrétaire de Mme de Bienencour.

Deux jours se sont écoulés, depuis les événements racontés plus haut, et quand nous retrouvons ceux qui nous intéressent, ils s’acheminent tous, quoique séparément, vers l’hôtel L…, pour le thé, auquel ils avaient été invités, par Henri Fauvet.


CHAPITRE VI

SÉPARATION


Dans le grand salon de l’hôtel L…, que Henri Fauvet avait loué, à l’occasion du thé que donnait sa fille à ses amis, Dolorès Lecoupret, Yolande et Jeannine Brummet, Gaston Archer, Réal du Tremblaye et Léon Martinel étaient réunis. Tous causaient avec animation et la conversation était fort gaie, à en juger par les éclats de rire qui s’élevaient, à tout instant. Marcelle, cependant, paraissait être assez anxieuse et déçue. Ses yeux se portaient souvent du côté de la porte ; il était évident qu’elle s’attendait à y voir apparaître quelqu’un. Dolorès, seule, s’apercevait de l’anxiété de son amie.

— Monsieur de Bienencour ! annonça, soudain. V. P., et aussitôt, le visage de Marcelle s’éclaira d’un sourire.

Mme de Bienencour ne vous a pas accompagné ? demanda Henri Fauvet, allant au devant de Gaétan.

— Elle a beaucoup regretté de ne pouvoir m’accompagner, M. Fauvet, répondit Gaétan. Pauvre tante Paule, elle a dû prendre froid, car elle souffre d’un rhume et aussi d’un peu de rhumatisme.

— Ah ! j’en suis fort peiné ! Espérons que Mme de Bienencour n’est pas atteinte de cette maladie nouvelle, dont il est question, depuis le commencement de l’hiver et qui a nom influenza !

— Je l’espère de tout mon cœur, M. Fauvet !

— Marcelle ira voir sa marraine demain, n’est-ce pas, ma chérie ? demanda Henri Fauvet à sa fille, qui venait de s’approcher.

— Certes, oui ! répondit-elle. Pauvre chère marraine !

Mlle Fauvet, dit Gaétan, j’ai appris, par Mlle Lecoupret, que vous n’aviez ressenti aucune fatigue, après le bal ?

— Aucune, M. de Bienencour, répondit Marcelle, en souriant. Je ne rapporterai, dans le nord, que de très agréables souvenirs de mon séjour à Québec.

— Vous êtes toujours décidée de partir mercredi ?

— Oui, nous partons mercredi ; dans trois jours maintenant.

— Marcelle, interrompit Jeannine, nous nous demandons souvent, Yolande et moi, pourquoi tu aimes tant le nord.

— Je ne sais que te répondre. Jeannine, si ce n’est que là est notre chez-nous, à père et à moi… Mon cœur est dans le nord ; voilà, fit Marcelle, en riant.

En entendant ces paroles, Gaétan pâlit légèrement. Iris Claudier ne l’avait donc pas trompé ? Marcelle aimait Raymond Le Briel ?

— M. Fauvet, reprit Jeannine, je désirerais tant savoir comment vous avez découvert le Beffroi et ce qui vous a décidé d’y établir votre demeure ! Racontez-nous donc cela, je vous prie !

— Oh ! oui, M. Fauvet ! Racontez donc ! Cette ancienne abbaye… ce doit être si intéressant ! s’écria Yolande.

— Cela nous intéressera tous ! dirent, en même temps, Gaétan, Gaston, Réal et Léon.

Pendant que Marcelle, aidée de Gaétan, servait le thé et les gâteaux, Henri Fauvet raconta la découverte de l’ancienne abbaye. Il parla de la cloche qu’ils avaient entendu tinter, dans le silence de la nuit, puis de l’excursion qui avait été faite par lui, Marcelle et Dolorès, au milieu du paysage le plus agreste que l’on put imaginer, à la recherche de cette cloche au mystérieux tintement. Il parla de