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L’OMBRE DU BEFFROI

cuperai de mes malles, aussitôt que j’aurai terminé ce cigare.

— À tout à l’heure, alors, Gaétan ! Tiens, si tu désires voir le portrait de Marcelle, tu le trouveras parmi ces photographies, sur le guéridon. Tu la reconnaîtras facilement ; de plus, son nom est au verso.

Gaétan s’approcha du guéridon et il se mit à examiner les portraits qui s’y trouvaient, pêle-mêle. Tout à coup, ses yeux tombèrent sur une carte, au verso de laquelle il lit : « À ma bien-aimée marraine, Mme  de Bienencour. Marcelle Fauvet ».

Avec grand empressement, le jeune homme tourna la carte du côté de la gravure : Marcelle, habillée d’une simple robe blanche, un ceinturon autour de la taille, ses longs et abondants cheveux flottant sur ses épaules, y était représentée debout, tenant par son collier son chien Mousse.

— Ciel ! se dit Gaétan. C’est elle ! C’est bien elle !… Ai-je assez essayé de la revoir !… Et dire que, ce soir, j’aurai ce grand bonheur !… Combien j’étais loin de me douter que cette jeune fille à qui j’ai pu rendre service, là-bas, dans le Nipissingue, était la filleule de tante Paule, cette Marcelle, dont elle m’a si souvent parlé ou écrit… Elle ne peut pas m’avoir oublié si tôt… ce n’était que l’été dernier, d’ailleurs. Mais je garderai son secret, si elle le désire encore ; je le garderai fidèlement. Oh ! que les heures vont me paraître longues, jusqu’à ce soir.

Longtemps encore, Gaétan contempla le portrait de Marcelle, puis, l’ayant remis, comme à regret, sur le guéridon, il monta dans les pièces que sa tante avait fait préparer pour lui, et qu’elle mettait toujours à sa disposition, à l’occasion de ses trop rares et trop courtes visites.

À peine eut-il quitté le boudoir, qu’Iris Claudier sortait d’un petit alcôve, que dérobait des portières.

— Ah ! s’écria-t-elle, ils se connaissent Gaétan et Marcelle Fauvet ! Il y a un secret entr’eux ! Ce secret, je le découvrirai, je le jure, et s’il contient quelque chose au détriment de cette… poupée, je saurai bien qu’en faire. Que je la déteste cette Marcelle ! Que je la déteste !

Entendant des pas se diriger vers le boudoir, Iris s’approcha de son pupitre, et s’étant assise, elle se mit à écrire, comme si elle ne venait pas d’être secouée par la plus épouvantable des passions : la haine. Haine contre une innocente jeune fille qui, assurément, était loin de se douter du sentiment qu’elle inspirait à la secrétaire de sa marraine, pour qui elle s’était toujours montrée gentille et aimable.


CHAPITRE II

LE TUNNEL DU REQUIEM


Nous n’avons pas encore décrit Gaétan de Bienencour, quoiqu’il ait été question de lui assez souvent, depuis le commencement de ce récit. Qu’il nous suffise de dire que Gaétan était ce qu’on appelle « un beau grand brun », aux yeux très expressifs, au visage pâle, aux traits réguliers. Sa bouche était « tendre » et une fine moustache couvrait sa lèvre supérieure. Près de six pieds, quant à la taille. Avec cela, aimable et gai, spirituel et bon garçon, il n’avait que peu ou point d’ennemis.

Gaétan de Bienencour était riche, par lui-même, et, un jour, il devait hériter de sa tante, Mme  de Bienencour, qui l’aimait, comme s’il eut été son fils. N’ayant jamais eu d’enfants, elle s’était fortement attachée à ce neveu de son défunt mari, et depuis plusieurs années déjà, elle avait fait son testament en sa faveur, sans qu’il s’en doutât même.

Quoiqu’il fut riche, il n’était pas oisif. Il avait deux passions : l’une pour la botanique et l’autre pour la minéralogie, et son plaisir consistait à présenter, assez souvent, des trésors au principal musée de la ville de Québec. Pour se procurer ces trésors, il partait pour des temps indéfinis, généralement en compagnie de Gaston Archer, qui était ingénieur civil, comme l’avait été son père. M. Archer père, vivait, maintenant, du fruit de son travail, et Gaston le remplaçait dignement. Gaétan de Bienencour et Gaston Archer étaient des amis de cœur ; ils s’aimaient comme s’aiment, ou devrait s’aimer, des frères.

L’été précédent, ils avaient exploré, tous deux, le nord de la province d’Ontario, le district du Nipissingue, et là s’était passé un événement qui devait, par la suite, influencer toute la vie de Gaétan.

Un jour, Gaétan de Bienencour quitta son ami Gaston Archer et il s’achemina à travers un paysage fort sauvage et presque désert, en compagnie de son valet Jasmin. Ils partaient pour plusieurs jours, conséquemment, ils apportaient des provisions de bouche, des armes à feu, et chacun avait, enroulé autour de sa taille, un câble solide, pour les ascensions.

Un rocher, aux murs très à pics, s’étant présenté aux yeux de Gaétan, il résolut de le franchir et de faire une excursion à son sommet.

Une fois le rocher escaladé, il vit qu’il s’étendait très au loin, et il se mit à marcher d’un bon pas, suivi de Jasmin, avec l’intention d’en examiner les contours.

Tout à coup, Gaétan s’arrêta : une large crevasse était à ses pieds ; un pas de plus et il y aurait été précipité. S’était penché au-dessus de l’abîme, il dit, s’adressant à son domestique :

— Vois donc, Jasmin ! Ce que je prenais pour une simple crevasse est un tunnel, dans lequel passe la voie ferrée.

— Un tunnel fort étroit, M. Gaétan ! répondit Jasmin. C’est à peine s’il y a un pied de distance entre la voie ferrée et les murs du tunnel.

— Ciel ! s’écria Gaétan. Avec la manie qu’ont parfois les gens de se promener à pied sur la voie ferrée, vois-tu quelqu’un pris dans cet étroit tunnel qui est même assez long ? Ce serait la mort, la plus horrible des morts !… Si ce tunnel n’a pas de nom, je vais le nommer le « Tunnel du Requiem ».

— Nom sinistre, M. Gaétan ! s’exclama Jasmin.

— Nom avec lequel tu ne saurais rimer, Jasmin, dit Gaétan, en riant. « Requiem » ne saurait rimer avec aucun mot de notre langue, je crois ?

— Bien non, Monsieur Gaétan ; mais on peut le faire rimer avec un autre mot latin. Dans plusieurs de « nos » poèmes, publiés, jadis, nous