Page:Lacerte - L'ombre du beffroi, 1925.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
L’OMBRE DU BEFFROI

placée tout à côté de l’escalier en spirale, un feu avait été allumé, ce qui enlevait à la pièce son caractère un peu trop austère.

Après le dîner, Henri Fauvet dut tout visiter ; le grand salon, la bibliothèque, l’étude, la salle à manger, la vaste cuisine, la dépense. Il dut monter l’escalier en spirale et jeter un coup d’œil dans les chambres à coucher. Il y en avait huit, on s’en souvient ; or, quatre de ces chambres, déjà grandes, avaient été agrandies, les murs ayant été abattus et des arches ayant été construites, dans les pièces réservées à Henri Fauvet et à Marcelle. De cette manière, chacun avait un boudoir attenant à sa chambre.

Enfin, on monta au grenier et la Chambre de la Tour, dont Marcelle avait fait une pièce fort coquette. On monta même sur le toit-terrasse et dans le beffroi dont la cloche de bronze luisait comme un soleil.

— Descendons à la chapelle maintenant, père ! dit Marcelle.

— Comme tu voudras, mon enfant !

Rien n’avait été changé, dans la chapelle ; mais combien moins lugubre elle était ! Les boiseries, en chêne, avaient été lavées, brossées, frottées, puis vernies ; les murs, les stalles, les bancs, le jubé ; tout reluisait. Sur les vitres, bien lavées, se voyaient parfaitement les magnifiques tableaux qui y étaient reproduits. Les cadres du chemin de la croix avaient été redorés ; enfin, c’était superbe cette chapelle.

— Nous avons fait accordé l’orgue, père, dit Marcelle, et chaque dimanche, si vous le voulez, nous viendrons ici, faire la prière du soir et chanter quelques cantiques, n’est-ce pas ?

— Je veux tout ce que veut ma Marcelle ! assura Henri Fauvet, en étreignant sa fille dans ses bras.

La maison ayant été visitée, de la cave au grenier, elle fut proclamée la plus confortable des demeures.

Oui, tout était parfait, et Henri Fauvet félicita Marcelle, il félicita aussi Dolorès, puis il remercia Raymond Le Briel pour son dévouement et l’invita à passer quelques jours au Beffroi, invitation qui fut acceptée avec empressement, car le jeune homme aimait déjà follement Marcelle.

Vers le milieu de septembre, Dolorès dut retourner à Québec, pour reprendre ses études ; Henri Fauvet alla la ramener. La séparation des deux amies fut pénible, mais Henri Fauvet promit à Dolorès qu’elle serait invitée à venir passer toutes ses vacances de l’été suivant au Beffroi, ce qui consola quelque peu les jeunes filles.

La vie s’écoula tranquille et heureuse au Beffroi. Un an et demi se passa, puis Henri Fauvet, désirant que sa fille fit son début, l’amena à Québec.

Ceci nous ramène à la date du 28 février, date à laquelle nous avions laissé nos lecteurs, à la fin du premier chapitre de ce récit.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE


DEUXIÈME PARTIE
LA DÉBUTANTE

CHAPITRE I

LE PORTRAIT


On était au 28 février. Ce soir-là, Mme  de Bienencour donnait son grand bal où sa filleule, Marcelle Fauvet, devait faire son début.

Mme  de Bienencour, assise sur un fauteuil, dans son boudoir, paraissait bien lasse. On ne donne pas un bal sans qu’il en coûte, et bien que la maison fut remplie de domestiques, elle avait dû beaucoup travailler ; de plus, les soucis et les ennuis qu’entrainent ces sortes de choses étaient pour une grande part dans la fatigue qu’elle ressentait.

Assise auprès d’un pupitre et écrivant, était une jeune fille, secrétaire et compagne, aussi parente éloignée de Mme  de Bienencour. Iris Claudier était restée dans un complet dénuement, lors de la mort de ses parents, tués tous deux, le même jour, dans un accident de chemin de fer. La marraine de Marcelle avait pris en pitié l’orpheline, alors âgée de treize ans, et l’avait emmenée chez elle. Il y avait dix ans qu’Iris demeurait chez sa vieille parente et, sans doute, elle ressentait pour celle-ci une grande reconnaissante, car elle était traitée sur un pied d’égalité, tout en recevant un splendide salaire pour le travail qu’elle faisait.

Iris donnait à Mme  de Bienencour le titre de tante.

Pas jolie Iris Claudier, pas jolie du tout. Elle avait la peau très brune, ses traits étaient irréguliers, sa bouche était trop grande, son nez était franchement retroussé, et ses yeux (quand on les voyait) devenaient un sujet d’étonnement. Dans un visage aussi brun, on s’attendait à voir des yeux noirs, ou très foncés ; les yeux d’iris Claudier étaient d’un vert pâle « de vrais yeux de chat » disaient ceux qui n’aimaient pas la secrétaire de Mme  de Bienencour, et ceux-là étaient fort nombreux.

J’ai dit, plus haut, que les yeux d’iris Claudier étonnaient, « quand on les voyait » ; c’est que la jeune fille avait l’habitude de parler les yeux fermés, quand elle ne les élevait pas… au plafond. Or, rien n’est désagréable et énervant comme ces gens qui ne peuvent regarder en face et ferment les yeux pour parler. Iris était détestée, à cause de cette malheureuse habitude, qu’elle avait contractée, dès l’enfance. En vain Mme  de Bienencour avait-elle grondé et même puni sa secrétaire ; Iris continuait à fermer les yeux lorsqu’elle adressait la parole à quelqu’un ou qu’elle répondait à une question. Finalement, Mme  de Bienencour n’y fit plus attention.

Iris n’avait jamais eu d’admirateur encore. Pauvre fille ! Prétentieuse, laide, envieuse et désagréable, elle n’était pas faite pour plaire. Mais, son cœur avait parlé depuis longtemps, depuis le jour où, il y avait cinq ans, elle avait, pour la première fois, vu Gaétan, le neveu de Mme  de Bienencour. Répétons-le ; pauvre fille ! Peu habituée à la courtoisie véritable, innée chez tout galant homme, elle avait pris pour de l’admiration ce qui n’était, de la part