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L’OMBRE DU BEFFROI

vous recevoir chez moi, Monsieur ? fit Raymond Le Briel. Rien ne me ferait plus plaisir.

— Merci, M. Le Briel. J’accepte votre invitation, certes. Nous ne quitterons pas les environs sans aller vous voir. Moi, j’ai nom Henri Fauvet, et cette jeune fille se nomme Dolorès Lecoupret… Et voici ma fille Marcelle, dit Henri Fauvet, car Marcelle venait de se joindre à eux.

Raymond Le Briel eut une exclamation étouffée de surprise et d’admiration, en apercevant Marcelle ; jamais il n’avait vu ou rêvé plus exquise créature.

On garda Raymond à souper, et quand il partit, il avait la promesse que le Castel-Roulant s’arrêterait à l’Eden, à son voyage de retour.

Raymond Le Briel était célibataire ; il vivait seul, à l’Eden, avec ses domestiques.

Après le départ de Raymond, Henri Fauvet, Marcelle et Dolorès allèrent faire une longue promenade à pied, puis, de retour au campement, chacun alla se coucher ; les domestiques dormaient, depuis assez longtemps déjà. Le grand air est un remède infaillible contre l’insomnie. Bientôt, tout était silencieux, dans le Castel-Roulant et sous la tente.

Il pouvait être minuit, quand Henri Fauvet s’éveilla soudain. Quelque chose l’avait tiré de son sommeil… Qu’était-ce ?… Il prêta l’oreille ; mais le seul bruit qui lui parvint ce fut celui du vent, qui s’était élevé et qui soufflait assez fort. Il allait donc essayer de se rendormir, quand il s’assit tout droit dans son hamac, comme mu par un ressort, et une expression d’étonnement se peignit sur son visage : il entendait, distinctement, le tintement d’une cloche.

— Une cloche qui tinte ! Dans cette solitude ! se dit-il. Mais… je dois rêver !… Il n’y a ni village ni hameau, d’ici à vingt milles, pour le moins !

Pourtant, une cloche tintait !… Non pas une clochette argentine, mais un timbre de bronze, sonore et solennel… C’était à n’y rien comprendre, et Henri Fauvet se dit :

— J’espère que ni Marcelle, ni Dolorès n’entendent tinter cette mystérieuse cloche ; elles seraient peut-être effrayées.

Pendant la majeure partie de la nuit tinta la cloche. Vers les quatre heures du matin, elle cessa tout à coup.

De son expérience de la nuit, Henri Fauvet ne dit mot. Il y avait là un mystère, et il ne désirait qu’une chose, c’est que ni les jeunes filles, ni les domestiques n’en eussent connaissance. Tout ce qui est mystérieux inspire une certaine frayeur ; le fait est reconnu.

Durant les deux nuits suivantes, Henri Fauvet ne dormit guère ; il écoutait, afin d’entendre le tintement qui l’avait tant surpris. Mais il n’entendit rien… Il avait donc rêvé ?

La troisième nuit, alors que tous étaient couchés dans le Castel-Roulant, à cause du vent qui soufflait avec rage, et qui aurait pu nuire à la sûreté de la tente, la cloche tinta de nouveau. Henri Fauvet l’entendit clairement, encore, cette fois, et il trouva cela lugubre. Le vent sifflait, gémissait et pleurait, et cette cloche qui tintait… on eut dit un glas… Soudain, il entendit la voix de Dolorès :

— Monsieur Fauvet ! Monsieur Fauvet ! appelait-elle.

— Oui, Dolorès, j’y vais !

Dolorès était pâle jusqu’aux lèvres et elle tremblait de peur.

— Oh ! M. Fauvet, dit-elle, entendez-vous tinter ce glas ?

— Voyons, Dolorès ! Voyons !

— Et ce n’est pas la première fois, dit la jeune fille ; l’autre nuit encore… Est-ce assez lugubre cette cloche qui tinte et ce vent qui gémit, autour de notre campement !

— Père !, cria tout à coup, Marcelle. Entendez-vous tinter cette cloche ?

Bientôt, tous étaient debout et habillés, et comme le jour pointait déjà, personne ne voulut se remettre au lit.

Quand, vers les six heures du matin, la cloche cessa de tinter, chacun se sentit soulagé comme d’un grand poids.

Il fut décidé que Henri Fauvet et les deux jeunes filles, accompagnés de Cyp, iraient explorer le pays, du côté de l’ouest, durant l’avant-midi, afin de découvrir, si possible, le mystère dont chacun commençait à être fort intrigué.


CHAPITRE XI

L’ABBAYE



Sur un sentier très étroit, un véritable trail, marchaient Henri Fauvet, puis Marcelle, puis Dolorès, puis Cyp. La forêt était très épaisse, et on n’eut pu distinguer quoi que ce fut, à une distance de quelques pieds.

Pendant près d’une heure, on marcha ainsi, échangeant des remarques, de temps à autre.

Tout à coup, Henri Fauvet s’arrêta et dit :

— Voici un pont, là, à notre gauche, au détour de la route !

— Un pont ! s’écrièrent Marcelle et Dolorès, accourant auprès de Henri Fauvet. Où donc ?

— Là ! Le voyez-vous ?… Un pont fort délabré, sur lequel ce serait folie de se risquer.

— Oh ! cria, soudain, Marcelle, qui s’était avancée, de quelques pas. Un beffroi ! Un beffroi !

— Un beffroi ?

Et tous d’aller rejoindre Marcelle.

— C’est la cloche de ce beffroi qui tinte, la nuit, alors, fit Dolorès.

— Évidemment ! répondit Henri Fauvet. Il y a donc là un monastère ?

— Monastère abandonné, dans tous les cas… Une abbaye quelconque, fit Marcelle.

— Hem ! dit Henri Fauvet. Une abbaye dont la façade est ornée de balcons en fer forgé, de portiques vitrés, et le reste ! Hem !

— Père, fit Marcelle, savez-vous ce que je pense ?… Je pense que c’est une ancienne abbaye, qui aura été convertie en résidence privée, assez récemment même. Allons voir !

— Mais, il faudrait traverser ce pont, dont la sûreté me parait… problématique, mon enfant.

— Si vous voulez, Monsieur, dit Cyp, je le traverserai moi, le pont et je m’assurerai s’il peut supporter votre poids, celui de Mlle Marcelle et de Mlle Dolorès. Je nage comme un poisson, Monsieur, et si le pont venait à s’effondrer, je n’aurais qu’à nager jusqu’au bord de la rivière, qui est très étroite, en cet endroit d’ailleurs.

— Tu es certain qu’il n’y a aucun danger pour toi, Cyp ? demanda Henri Fauvet.

— Aucun, Monsieur.