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L’OMBRE DU BEFFROI

Henri. Ah ! Ondine ! Tu es mieux, ma chérie ?

— Oui, oui, Henri !

— Je vais renvoyer la voiture, Ondine ; tu n’es pas assez forte pour partir aujourd’hui.

— Je veux partir ! Je veux partir ! sanglota Ondine. Emmène-moi, Henri, tout de suite, tout de suite !

— Ma pauvre enfant ! fit Henri.

Mlle Ondine s’est beaucoup ennuyée, M. Fauvet, dit Febro. Ne pouvant vous écrire, cela l’a fatiguée et énervée.

— Emmène moi, Henri, emmène-moi ! Je veux m’en aller d’ici ! pleurait Ondine.

— C’est entendu, alors ! Nous allons même partir immédiatement, si tu es prête, afin de ne pas manquer le train, qui part dans moins d’une heure, à cinq milles d’ici.

Fébrilement, Ondine fit ses préparatifs de départ, aidée de Febro, tandis que Henri enlevait Marcelle de son berceau et l’enveloppait chaudement. Soudain, il aperçut le ruban bleu que l’enfant portait au poignet et cela lui rappela un fait assez curieux. Il avait eu deux petits frères jumeaux, morts en bas âge, et comme ces enfants se ressemblaient beaucoup, à s’y tromper même, leur mère avait attaché au poignet de chacun un ruban. L’un des jumeaux portait un ruban rose, l’autre un ruban bleu.

Mais, pourquoi Ondine avait-elle mis ce ruban bleu à sa petite Marcelle ?… Ce devait être plutôt embarrassant ces sortes de parure sur un bébé de trois semaines !

Par simple curiosité, Henri demanda, en désignant l’enfant :

— Pourquoi ce ruban bleu autour du poignet de Marcelle, Ondine ?

Ondine crut qu’elle allait s’évanouir de nouveau. Ses yeux s’ouvrirent démesurément et elle faillit crier.

— Ciel ! se dit Henri, Ondine a-t-elle peur de moi ?… Je ne puis pas lui adresser la parole sans qu’elle ait l’air d’être prête à s’évanouir.

Il est grand temps que je la ramène au Nid, je crois !

— Ce ruban bleu, M. Fauvet, dit Febro, d’une voix tremblante, c’est Mlle Ondine qui l’a mis au poignet de la petite… parce que… Marcelle… est consacrée à la Sainte Vierge, depuis le jour de sa naissance, et jusqu’à l’âge de sept ans.

Ondine jeta à Febro un regard rempli de reconnaissance. Cette bonne Febro ! Jamais elle ne pourrait s’acquitter envers elle !

— Savez-vous, Febro, reprit Henri, je croyais vous trouver mariée. Ne deviez-vous pas vous marier, le printemps dernier ?

— Nous nous marierons le mois prochain Cyril Florentin et moi, M. Fauvet.

— J’espère que vous serez heureuse, Febro !

— Tout est prêt. Partons ! fit soudain Ondine.

— Bien, ma chérie ! répondit Henri.

— Merci, bonne Febro, merci pour toutes tes bontés ! s’écria Ondine en pleurant. Jamais je n’oublierai tout ce que tu as fait pour moi et mes… ma petite Marcelle.

— Et moi aussi, je vous remercie, Febro ! dit Henri Fauvet.

Enfin, on prit place dans la voiture et on allait partir, quand Ondine s’écria :

— Ma sacoche ! Je l’ai oubliée !

— J’irai bien la chercher, Madame, dit V. P.

— Merci, V. P., mais je préfère y aller moi-même… Je ne serai pas longtemps, Henri, ajouta-t-elle.

— C’est bien, ma chérie. Nous pouvons disposer encore d’une dizaine de minutes, d’ailleurs.

Febro, en voyant revenir Ondine, accourut au-devant d’elle.

— Qu’y a-t il, Mlle Ondine ?

— Je veux la revoir ! Il faut que je la revoie pour la dernière fois ma pauvre petite Monique !

— C’est très imprudent ce que vous faites, Mlle Ondine ! Si M. Fauvet…

— Mets-toi à la fenêtre et observe ce qui se passe dehors. Je ne serai qu’un moment… Donne-moi la clef, Febro !

Ondine, agenouillée auprès de sa petite Monique, eut une crise de désespoir, courte, mais terrible. La chambre où était le cadavre de la petite était sous les combles et on y étouffait de chaleur. Mais, pauvre, pauvre Monique, rien ne pouvait plus l’incommoder maintenant !

Ce fut infiniment lugubre cette dernière visite que fit Ondine à son enfant mort ! Personne ne lui avait fermé les yeux à la petite Monique, personne ne lui avait fermé la bouche, ni joint les mains…

— Pauvre petite abandonnée ! sanglota Ondine. Je ne t’oublierai jamais ! Je ne me pardonnerai jamais non plus d’avoir été cause de ta mort… et ce terrible souvenir me tuera !…

Et comme son enfant lui paraissait être si délaissée, Ondine enleva de son cou un riche médaillon, contenant son portrait et celui de son mari ; ce médaillon, un cadeau de fête qui lui venait de Henri, elle le déposa sur la poitrine de la petite morte. Mais, auparavant, sur une feuille de son calepin, elle écrivit :

« Sur ton cadavre à peine refroidi, ô ma petite fille jumelle, ma bien-aimée Monique, je dépose ce médaillon.

« Du haut du ciel, où ton âme plane déjà, veille, je t’en prie, ô ma Monique, sur ta malheureuse et coupable mère !

Ondine Y. Fauvet ».

Ce papier, elle le plaça dans une des compartiments du médaillon.

Retirant, ensuite, de sa sacoche, quatre billets de banque de cinquante dollars chacun, elle les plaça à côté du médaillon, avec un mot de reconnaisance à l’adresse de Febro.

Mlle Ondine ! cria la servante, à ce moment. Vite ! Descendez ! V. P. se dirige vers la maison, envoyé par votre mari, sans doute. Vite ! Vite ! Descendez !

Déposant un baiser hâtif sur le front de sa Monique, Ondine descendit dans la salle, juste au moment où V. P. entrait pour lui dire que M. Fauvet trouvait qu’il était temps de partir.

Cinq minutes plus tard, Ondine quittait, pour toujours, la maison de Febro, emportant dans son cœur le plus terrible des secrets.


CHAPITRE VII

LE VER RONGEUR


Quand ils furent installés confortablement dans le Pullman, en route pour Québec, Henri Fauvet dit à sa femme :

— J’ai une grande nouvelle à t’annoncer, ma chérie. Tu sais mon oncle Prosper, le célibataire, mon seul oncle d’ailleurs ?