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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

sera payée par mon homme d’affaires ; tu auras de quoi vivre, et de reste ; même, tu pourras prendre à ton service Sambo, le jeune nègre, que nous avons toujours protégé d’ailleurs.

Sambo était, en effet, un nègre d’une vingtaine d’années, sans feu ni lieu, que les Hynes employaient souvent à travailler autour de la maison. (Ajoutons, tout de suite que Richard Hynes, au moment de quitter la Route Noire fit cadeau de sa maison et de son contenu à Sambo, sur la suggestion de Luella, cette bonne action, avait pensé la jeune fille, leur porterait bonheur, à elle et à son père).

— Faites cadeau de votre maison à Sambo, M. Hynes, si cela vous plait, répondit Salomé, à la dernière suggestion de son maître ; moi, où ira Mlle Luella, j’irai !

— C’est à ma fille de décider si tu dois nous accompagner ou non, fit froidement Richard Hynes.

— Mademoiselle Luella ! implora la négresse. Ô Mademoiselle Luella !

— Je pourrais difficilement me passer de Salomé, vous le pensez bien, père, dit Luella. Je tiens donc à ce qu’elle nous accompagne.

Une expression de réel mécontentement se peignit sur le visage de Richard Hynes ; mais, comme toujours, il se soumit à la volonté de sa fille.

Dans le courant de l’après-midi, Jacobin vint rendre visite à Luella. Apercevant par terre deux valises remplies de linge, il demanda, d’une voix qui tremblait légèrement :

— Vous allez donc partir ?

— Mais, oui, Jacobin, répondit Luella en souriant. Un petit voyage à Chicago, où père a affaire ; moi, je l’accompagne, cette fois.

— Serez-vous longtemps absents ? demanda le pauvre garçon d’une voix altérée.

— Une semaine… deux peut-être…

— Ah ! fit Jacobin, quelque peu soulagé et rassuré.

Il était à la gare, au départ du train. Il se sentait fort attristé, comme s’il eut eu le pressentiment de ne plus jamais revoir celle qu’il avait toujours tant aimée.

— M’écrirez-vous quelques lignes ? lui demanda-t-il, au moment où elle allait monter dans le wagon.

— Oui, Jacobin… Je vous écrirai, aussitôt que nous serons arrivés à Chicago, promit-elle.

(Elle tint parole. Mais cette carte postale que Luella écrivit à Jacobin et que ce dernier conserva toujours comme son plus précieux trésor ici-bas, ce fut la seule et la dernière qu’il reçut jamais d’elle).

Enfin, retentit le sifflet de la locomotive, puis le train se mit en mouvement. Luella eut un soupir de profond soulagement et de parfait bonheur ; elle quittait, pour n’y plus jamais revenir, la Route Noire et ses environs !


Chapitre IV

NOS AMIS DE LÀ-BAS


Lorsque nous avons quitté nos amis de la Nouvelle-Écosse, c’était le soir du baptême de la cloche d’église de la Ville Blanche.

On s’en souvient, Yvon Ducastel, au moment de retourner chez lui, avait invité ses amis à venir à W… et qu’ils exploreraient, en sa compagnie, la houillère, que Mme Foulon désignait sous le nom assez poétique de « Ville Noire », et c’est avec grand enthousiasme que tous avaient accepté l’invitation.

L’excursion projetée avait été fixée à un mois de là ; mais un mois et demi s’était écoulé depuis lors et elle n’avait pas encore eu lieu.

C’est que Lionel Jacques avait été malade, d’une bronchite aiguë, qui l’avait conduit à deux doigts de la mort et, inutile de le dire, il n’avait pas été question de descendre dans la mine sans lui. Pendant quatre ou cinq jours, le médecin de W…, le Docteur Rupert, avait désespéré de son malade.

Mais, aujourd’hui, Lionel Jacques, après une longue convalescence, se déclarait en parfaite santé et prêt à se joindre aux excursionnistes, quand la chose serait décidée, quant au jour, à l’heure, etc.

Pendant la maladie de Lionel Jacques, Yvon était allé fort souvent prendre de ses nouvelles, et plus d’une fois, il avait vu Annette installée au chevet du malade. Cela ne l’avait pas étonné, quoiqu’il en res-