Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

prénom tout de suite.

— Comme tu voudras, ma chérie.

— Dorénavant donc, appelez-moi Luella… J’ai toujours aimé ce nom et je le prends.

— Luella… C’est très bien.

— Avec ce nouveau nom, auquel il est essentiel que nous nous accoutumions tous, vous, Salomé et moi, et le nom de famille tout à fait français que vous prendrez (que nous prendrons) un jour, aussitôt que nous pourrons partir d’ici, personne ne parviendra à nous retracer jamais.

— Comme toujours, il sera fait ainsi que tu le désires, Alba. Dans deux mois, au plus, nous quitterons la Route Noire et personne de ceux qui nous ont connus n’entendra plus jamais parler de nous puisque nous aurons changé d’identité et de nom.

Les deux mois de grâce demandés par Richard Hynes à sa fille s’étaient écoulés et il semblait bien que la fortune rêvée était loin encore. C’est pourquoi, lorsque, pour la première fois, nous avons vu Luella, elle pleurait toutes ses larmes. Elle se demandait à quoi lui servirait l’instruction qu’elle avait reçue ; cette instruction, cette éducation. n’avaient servi qu’à lui inculquer des goûts et des aspirations qu’elle ne pourrait jamais satisfaire.

Mais, vers les dix heures, ce même soir où elle s’était livrée au découragement, Richard Hynes, son père, entrait chez lui en coup de vent ; il paraissait être excessivement excité.

— Luella ! s’écria-t-il, en saisissant sa fille dans ses bras. J’ai une grande et bonne nouvelle à t’apprendre !

— Oui, père ? fit-elle d’un ton las et avec un triste sourire. Que lui importait les nouvelles qu’on lui apportait ?… Une seule chose aurait pu l’intéresser, et de cette chose elle avait désespéré depuis longtemps…

— Ma fille, reprit Richard Hynes, en posant sa main sur sa propre poitrine en un geste théâtral, salue, je te prie, l’homme le plus riche de cet État !

— Vous dites, père ? Vous dites — … s’exclama Luella, reprise d’espoir.

— Je te présente Richard Hynes, le millionnaire, reprit-il, s’inclinant devant sa fille en souriant.

— Non ! Non ! Vous voulez rire, n’est-ce pas, père ?

— Nenni, Luella ! Tous tes rêves vont se réaliser, mon enfant… Quand tu le désireras maintenant, nous quitterons cette maison… la Route Noire…

— Demain, père ? Demain ?

— Pourquoi pas ? Aussi bien partir demain qu’un autre jour.

— Je serai prête à partir… par le train de sept heures, demain soir.

— Fort bien !… Il n’y a rien à emporter d’ailleurs, hors quelques effets de première nécessité, car, à Chicago, où nous irons, tout d’abord, tu t’achèteras un trousseau complet. Je tiens à ce que tu sois vêtue très richement et très chiquement, comme il convient à la fille d’un millionnaire ; les plus belles toilettes, la plus fine lingerie, les plus riches joyaux : de fait, il n’y aura rien de trop beau pour toi désormais, Luella.

— Alors, c’est entendu : nous partirons demain ! s’écria joyeusement la jeune fille.

— Je n’y ai aucune objection.

Le lendemain matin, au déjeuner, Richard Hynes annonça à Salomé qu’ils allaient partir, lui et sa fille.

— Et quand partons-nous ? demanda la négresse.

— Hein ? cria Richard Hynes. Puis d’un ton plus calme, mais où perçait quand même, un grand malaise… on eût dit plutôt une sorte de crainte, il reprit : Ma pauvre Salomé, nous partons seuls, Luella et moi. Quant à toi, je te fais don de cette maison et de son contenu ; tu pourras donc continuer à y demeurer…

— Je ne quitterai pas Mlle Luella ! annonça tranquillement Salomé. Je désire être attachée à son service personnel… Mlle Luella ne pourrait pas se passer de moi d’ailleurs et…

— Tu resteras ici, entends-tu, Salomé, ma bonne ! tonna Richard Hynes.

— Je suivrai Mlle Luella… répondit-elle avec entêtement.

— Écoute, une bonne pension te