Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.
90
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Jacques. Pourquoi pas l’année prochaine plutôt, mon cher M. Foulon ? ajouta-t-il en riant.

— C’est que je dois m’absenter, avoua M. Foulon, et s’il y a une excursion dans la mine, je voudrais bien en être !

— C’est juste, M. Foulon ! fit Yvon. C’est entendu, donc. Le mois prochain, je vous ferai explorer mon… domaine.

— Oh ! Que ! bonheur ! s’exclama Mme Foulon.

— J’ai été bien accueilli, par vous tous, à la Ville Blanche, reprit Yvon ; en retour, il me sera très agréable de vous faire les honneurs de la Ville Noire.

FIN DE LA
DEUXIÈME PARTIE

L’HOMME DE LA MAISON GRISE

TROISIÈME PARTIE
LA VILLE NOIRE

Chapitre I

LA ROUTE NOIRE


« Quelque part, dans les États-Unis d’Amérique », loin, bien loin de la Nouvelle-Écosse, à des centaines et des centaines de milles de W…, de la Ville Blanche et des êtres intéressants que ces villes contiennent, était un chemin rabotteux et glaiseux, au-dessus duquel des arbres, au feuillage si foncé qu’il en paraissait noir, le soir surtout, se rejoignaient en formant une arche.

Rien de plus pittoresque que ce chemin, sans doute : mais combien dangereux ! Car il était très étroit, de fait, il y avait juste assez d’espace pour le passage d’une voiture. À certains endroits cependant, il y avait des « rencontres », élargissements de la route, où deux véhicules pouvaient se rencontrer assez facilement. Si l’on voyageait en voiture donc, il fallait user de grandes précautions, afin de ne pas être dans l’obligation de se croiser ailleurs qu’aux « rencontres ». Et puis, c’eut été chose impossible, car, tout à côté du « grand chemin », il y avait des « ventres de bœufs », autrement dit, des marais sur lesquels c’eut été folie d’essayer de s’aventurer.

De chaque côté de ce chemin, on apercevait des maisons (des masures plutôt) dont le bois, qui n’avait jamais connu ni le pinceau, ni le blanchissoir, avait revêtu une teinte grise ou brune, s’harmonisant bien avec le décor environnant. Ces masures, dont une sorte de paillasson recouvrait le sol, n’étaient que d’une seule pièce, servant, à la fois, de salle-à-manger, de cuisine, et de chambre à coucher.

Dans notre pays (dans la province de Québec par exemple) on désignerait ce chemin dont nous parlons du nom de « rang » ; mais, pour les habitants de l’endroit, il était connu sous le nom de « route » — la Route Noire ; c’était là son vrai nom… nom bien mérité aussi.

Or, le soir où, pour la première fois, nous conduisons nos lecteurs sur la Route Noire, il fait bien noir. Inutile de le dire peut-être, aucune lumière artificielle ne l’éclaire. La lune est absente ; seules, de pâles étoiles scintillent au firmament… On dirait de petits lampions, placés là, non dans le but d’éclairer, mais par parure seulement.

Qui donc… quelles sortes de gens habitent les masures bordant la Route Noire ?…

Rien ne paraît plus facile que de s’en assurer. Il n’y a qu’à s’approcher de l’une de ces masures et regarder ce qui se passe à l’intérieur, si le cœur nous en dit, et si nul scrupule ne nous interdit pareille indiscrétion, car ni stores, ni rideaux n’en voilent les fenêtres.

Dirigeons-nous vers la droite, ayant soin cependant de ne pas mettre le pied sur quelque « ventre de bœuf ».

Ah !… Impossible de distinguer quoique ce soit, à l’intérieur de cette première maison, car, à défaut de stores, la poussière et les fils d’araignées ont tissé un rideau naturel à travers lequel l’œil ne peut que très difficilement pénétrer. D’ailleurs, les masures de la Route Noire sont, apparamment, éclairées au moyen de chandelles de suif, qui, on le devine, répandent plus d’odeur nauséabonde que de clarté.

Pourtant… En nous approchant