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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

pour l’église, car un sermon précéderait le baptême de la cloche.

Yvon avait offert son bras à Annette, pour la conduire à l’église, et on ne pouvait manquer de remarquer comme ils se convenaient les deux jeunes gens ; elle, si belle, si blonde ; lui, si joli garçon, aux cheveux et à la moustache brune… Non, vraiment, impossible de rêver un couple mieux assorti qu’Annette Villemont et Yvon Ducastel !

— Annette, fit Yvon, comme on approchait de l’église et en retirant de la poche de son habit un billet de banque, prenez cet argent, je vous prie ! Vous le savez, les parrains et marraines doivent donner la première obole, au baptême d’une cloche, et j’ai pensé que…

— Merci, M. Yvon, répondit-elle en souriant mais en repoussant le billet de banque que le jeune homme essayait de glisser dans sa main ; M. Jacques avait prévu le cas et il m’a remis, avant de quitter la maison, un billet de banque… cinq dollars, je crois… Ainsi, reprit-elle, je pourrai faire l’aumône fort généreusement.

— En effet ! dit Yvon froidement, tandis qu’il se demandait s’il n’allait pas éclater en sanglots. M. Jacques est si prévenant ! ajouta-t-il.

— Oui, n’est-ce pas ? Il pense à tout ce bon M. Jacques !

Des sièges avaient été placés, en avant de l’église, près de la balustrade, pour les parrains et marraines. Trop préoccupé de ses propres affaires (affaire du cœur, on le comprend) Yvon ne s’était pas enquéri des noms des autres parrains et marraines. Il fut donc agréablement surpris d’apercevoir, assis à ses côtés, M. et Mme Foulon ; deux autres sièges étaient encore inoccupés.

Le prêtre allait commencer son sermon, lorsqu’arriva l’autre couple : c’étaient Patrice Broussailles et Madeleine Blanchet, cette dernière, une jeune fille de la Ville Blanche, qu’Yvon connaissait, car elle lui avait été présentée déjà.

Madeleine Blanchet était une fort jolie brunette, qui eut été attrayante, si elle n’eut commis l’erreur de s’attriquer de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, pour la circonstance. Cependant, sa jolie chevelure brune, ses yeux presque noirs qui lançaient des flammes, chaque fois qu’ils se posaient sur son « compère » son teint extraordinaire, ne pouvaient passer inaperçus. Elle s’était considérée chanceuse d’avoir été choisie pour marraine par le « professeur » Broussailles ; aussi ne ménageait-elle ni ses œillades, ni ses sourires, que Patrice lui rendait au centuple, au grand amusement d’Yvon. « Ce pauvre Broussailles, si laid d’avance, n’y gagne pas à faire les yeux en coulisse aux jeunes filles, pour sûr ! À sa place, je ne me contorsionnerais pas le visage ainsi… Je me contenterais d’avoir les yeux croches et je n’essayerais pas de loucher davantage ! » se disait notre héros.

Pauvre Yvon !… Il était mal disposé envers l’univers entier, pour le moment, et même la présence auprès de lui de celle qu’il aimait ; même la conviction de la beauté et de la vraie distinction de celle qu’il avait choisie pour marraine, ne pouvait le consoler. Le spleen le dévorait littéralement ; un spleen qui lui faisait voir le monde et tous ses habitants à travers un nuage noir.

Après le baptême de la cloche, ce fut le grand dîner au Gîte-Riant. Sur le terrain l’environnant, des tables avaient été mises pour tous les citoyens de la Ville Blanche, sans exception.

— Annette, dit Mme Foulon, pendant le dîner, laissez-moi vous féliciter. Cet Ave Maria que vous avez chanté pendant le salut, c’était si touchant et si beau ! M. le Curé me dit que c’est vous qui en avez composé la musique ?

— Oui, Mme Foulon, répondit la jeune fille en souriant.

M. Ducastel, reprit la femme du marchand, pourquoi n’organiserions-nous pas un concert au profit de l’église, vous, Annette, et moi ?

— Parce que M. le Curé ne veut pas, répondit sèchement Yvon. (Il n’oublierait pas de sitôt l’accueil que le curé avait fait à leur suggestion. à Lionel Jacques et à lui, croyez-le !)

— M. le Curé ne veut pas, dites-vous ?… Mais… M. Ducastel…

Le prêtre paraissait mal à l’aise ; son visage était rouge comme feu