Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

venait d’être victime de quelqu’horrible attentat à main armée.

La nuit entière se passa sans que le sommeil, cet ami, le meilleur assurément du malheureux, vint clore sa paupière. Les yeux grands ouverts, il lui semblait voir Annette, celle qu’il adorait et qui lui avait toujours parue si timide, si modeste, vêtue de riches toilettes et parée de joyaux de prix… C’était intolérable ! Aussi, lorsqu’il pénétra dans la salle à manger, pour le déjeuner, le lendemain matin, Mme Francœur jeta-t-elle de hauts cris en l’apercevant.

— Vous êtes malade. M. Ducastel ? Vous êtes pâle comme un mort et vos yeux sont cernés de noir !

— Non, je ne suis pas malade. Mme Francœur, répondit Yvon. Je n’ai pas dormi de la nuit ; voilà. Je crois que j’ai dû manger trop de vos excellents biscuits chauds, au souper, et une légère indigestion m’a puni de ma gourmandise, ajouta-t-il, en souriant.

— Buvez une bonne tasse de café alors, M. l’inspecteur ; il est bien chaud… et bien bon, je crois. Et voyez, le pain est rôti juste à point, tel que vous l’aimez.

— Merci. Je boirai le café seulement.

En se rendant à son bureau, il vit Annette elle chantait, au coin d’une rue, en s’accompagnant sur sa guitare. Guido, en apercevant le jeune homme, aboya joyeusement. Un peu de rose monta aux joues de l’aveugle, tandis qu’une expression de joie se reflétait sur ses traits ; sans doute elle reconnaissait le pas de son ami et elle croyait qu’il allait s’arrêter pour lui dire bonjour en passant.

Yvon passa sans s’arrêter… Annette continua à chanter ; mais le rose de ses joues s’effaça… Quant à Guido, il s’était élancé, en gambadant, au-devant de son ami ; mais le voyant passer tout droit, il rebroussa chemin puis l’oreille basse, il alla se coucher, en soupirant, auprès de sa jeune maîtresse.

Pour un rien, Yvon eut pleuré… Cependant, les nouvelles que Patrice Broussailles lui avait communiquées, la veille, lui faisaient éprouver une certaine gêne à accoster Annette, qu’il appelait tout bas : « la fiancée de M. Jacques ».

C’est machinalement qu’il fit son ouvrage, au bureau ; mais, après le dîner, il ne put résister plus longtemps au désir de se rendre à la Ville Blanche… Il voulait voir Lionel Jacques… lui parler d’Annette… et lire ses émotions sur son visage… Peut-être même questionnerait-il l’ex-gérant de banque, lui demanderait-il franchement ce qui se passait… Si, véritablement, il n’y avait aucune exagération dans les racontars de Patrice, eh ! bien, il céderait le pas à son ami… L’heure avait sonné, sans doute, pour Yvon de prouver sa reconnaissance envers celui qui l’avait sauvé du déshonneur, jadis… N’avait-il pas rêvé, plus d’une fois, d’être dans l’occasion de rendre quelque service à celui qui avait tant fait pour lui ?… Mais, ciel ! En faisant ce rêve, il avait été bien loin de prévoir l’énorme sacrifice qu’il lui faudrait faire ! Annette ! Son Annette !… Pourquoi, ah ! Pourquoi avait-il tant insisté à les faire rencontrer tous deux, la jeune aveugle et Lionel Jacques ?… S’il s’était tu ; s’il avait gardé secrètes ses rencontres avec la jeune fille, aujourd’hui, il n’endurerait pas tant de tortures !

Remettant à son secrétaire la charge du bureau, Yvon se rendit chez lui, et ayant sellé son cheval, il se dirigea vers la Ville Blanche.

Presto allait bon train, car il n’était pas sorti depuis trois jours et il ne demandait qu’à marcher ; conséquemment, notre jeune ami arriva vite à destination.

Une grande tranquillité régnait partout, à la Ville Blanche. Quelques femmes travaillaient dans leurs jardins, arrachant les mauvaises herbes, etc. ; quel contraste d’avec W… à l’incessant brouhaha !

Yvon chercha à apercevoir Lionel Jacques sur sa véranda, où il se tenait d’ordinaire ; mais ce fut en vain ; autour du Gîte-Riant, comme autour des autres demeures de la Ville Blanche, tranquillité parfaite.

Ayant sonné à la porte d’entrée du Gîte-Riant cependant, Catherine vint aussitôt ouvrir.

— Ah ! M. Ducastel ! s’exclama-t-