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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Vous ne l’avez donc jamais questionné là-dessus ?

— Certes, non ! Pourquoi l’aurais-je fait ?… J’ai déploré son absence, devant elle, plus d’une fois, il est vrai ; mais comme elle ne m’a offert aucune explication, considérant, probablement, qu’elle n’a de comptes à rendre à qui que ce soit, jamais je n’ai insisté. C’eut été manquer de délicatesse d’ailleurs.

— Et quand même vous auriez insisté, elle ne vous aurait donné aucune satisfaction, soyez-en assuré, Ducastel, car, ces jours où elle n’est pas à son poste, elle est à la Ville Blanche, au Gîte-Riant.

En entendant ces paroles, Yvon se sentit au cœur une petite douleur, dont il eut honte aussitôt. Non, se disait-il, ce n’était pas parce qu’Annette passait une journée, de temps en temps, au Gîte-Riant qu’il ressentait tant de peine ; au contraire, cela lui faisait plaisir ; la pauvre enfant avait besoin, plus que toute autre, d’un peu de joie et de distraction. Pourtant… pourquoi Annette avait-elle tenue la chose secrète ?…

Yvon se rappela, tout à coup, avoir demandé à Annette, un jour, si elle avait vu M. Jacques dernièrement, ou si elle avait entendu parler de lui… À cette question elle n’avait pas répondu. Il n’y avait pas prêté beaucoup d’attention, dans le temps, et certainement que le silence de la jeune fille ne lui avait inspiré aucun soupçon.

Ces pensées passèrent rapidement dans son esprit, mais il lui fallait, de toute nécessité, les cacher à Patrice Broussailles, car ce dernier observait attentivement Yvon, comme s’il eût voulu lire sur son visage les impressions qu’il ressentait.

— Au Gîte-Riant, dites-vous, Broussailles ? fit notre héros d’une voix qu’il essayait d’affermir, mais qui tremblait malgré lui. Tant mieux, alors ! Je suis heureux que Mlle Villemont prenne un jour de congé, par ci, par là, et qu’elle le passe chez M. Jacques.

— Vraiment ! s’exclama Patrice, avec un sourire sarcastique. Ce n’est pas tout cependant… Annette, l’aveugle, lorsqu’elle chante au coin des rues, pour gagner quelques sous, est vêtue d’une robe de nuance foncée, qui, assurément, a vu de meilleurs jours…

— La pauvre, pauvre enfant ! murmura Yvon.

— Mais, reprit Patrice, feignant ne pas avoir entendu l’exclamation de son compagnon, Mlle Villemont, en visite au Gîte-Riant, se revêt de soie, de velours et de dentelles, tandis qu’à son corsage, à son cou, à ses bras, à ses doigts brillent des joyaux qu’envierait une princesse royale…

— Ce n’est pas vrai ! cria Yvon, en se précipitant sur Patrice Broussailles, comme pour lui faire un mauvais parti.

— C’est la pure et entière vérité, mon cher !

— Vous mentez, Broussailles ! Vous n’êtes qu’un vil calomniateur ! Sortez ! Quittez cette maison, à l’instant, et n’y remettez plus jamais les pieds !

— Allons ! Allons, Ducastel ! Pourquoi m’accuser ainsi — Je le répète, j’ai dit la vérité… la vérité vraie, comme dit parfois le curé de la Ville Blanche… Et, à propos du curé ; il a dû intervenir, en ce qui concerne Mlle Villemont et…

— Intervenir — Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que le bon abbé et M. Jacques ont été en froid… au froid si vous le préférez, pendant quelque temps… à cause de Mlle Villemont ; plus de visites amicales échangées ; plus de dîners du dimanche, ensemble… Et puis, un jour, la paix s’est faite. Quelle explication M. Jacques a-t-il donnée de sa conduite ?… Mystère… Personne ne le saura jamais, sans doute ; seulement, il en a assurément donné une… valable… Depuis, le bruit court que le propriétaire de la Ville Blanche, qui n’avait jamais fait vœu d’éternel veuvage d’ailleurs…

— D’éternel veuvage , dites-vous ? s’écria Yvon. Mais… M. Jacques… Je le croyais célibataire…

— Bien d’autres que vous étaient sous cette impression… Or, M. Jacques est veuf, depuis bien des années, Ducastel… Mais il y aura, sous peu, dit-on, une jeune madame Jacques au Gîte-Riant

— Vous prétendez que…