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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Ville Blanche, Mlle Villemont, avait dit Mme Foulon.

— Je n’y manquerai certes pas… et merci de votre invitation, avait répondu Annette. Au revoir, Madame !

— Au revoir, Annette !… J’aimerais à vous appeler Annette, si vous n’y avez pas d’objections.

— Ça me fera tant plaisir, oh ! tant ! s’écria la jeune fille. Et puis… j’aimerais bien à vous embrasser avant de partir.

— Chère, chère enfant ! s’exclama Mme Foulon, en pressant Annette dans ses bras.

Les yeux de la bonne dame se remplirent de larmes ; elle compatissait tant à l’affliction de la jeune aveugle !

— Trois ! fit Yvon, lorsque lui et Annette furent rendus sur le trottoir.

La jeune fille tourna vers lui son visage étonné.

— Trois ?… Que voulez-vous dire, M. Yvon ?

— Je veux dire que vous comptez trois amis sincères et dévoués. Annette : Mme Foulon, M. Jacques, et moi.

Les paupières de l’aveugle s’humectèrent ; mais aussitôt, elle sourit.

— Vous oubliez le curé de la Ville Blanche, dit-elle.

— Ah ! oui ! Le curé… répondit Yvon, presque froidement. Ça fait quatre, alors, ma petite amie.

— Tout le monde est si bon pour moi… et je le mérite si peu ! murmura-t-elle.

— S’il y a quelqu’un au monde qui mérite d’être aimé c’est bien vous, Annette ! s’écria Yvon, en saisissant la main de sa compagne. Quant à moi… je… je donnerais ma vie pour vous. Dieu le sait !

Annette pâlit et rougit, tour à tour. Dans ses yeux si doux, une expression indéfinissable, tragique, on eut dit, se refléta, puis ses lèvres tremblèrent, comme si elle allait pleurer.

Yvon n’était pas moins ému qu’elle ; il pâlit, tandis que ses yeux ardents se posaient sur la jeune fille.

— Annette… commença-t-il, d’une voix vibrante, je ne peux vous cacher plus longtemps les…

Qu’allait-il dire ?… Des paroles irrévocables ; des paroles qui décideraient de leur avenir à tous deux… Ce qui l’empêcha de continuer la phrase qu’il avait commencée, c’est qu’il venait d’apercevoir, venant à leur rencontre, Patrice Broussailles, le maître d’école de la Ville Blanche.

Patrice Broussailles !… Quoiqu’il fronçât les sourcils, à la vue de ce garçon qu’il méprisait, on le sait, Yvon eut un sourire amusé, en l’apercevant. C’est que Patrice portait à la main un petit rouleau de papier. Or, même lorsqu’il était garçon-à-tout-faire, à la banque, jadis, ce type avait eu l’habitude de se munir d’un rouleau de papier ainsi, chaque fois qu’il mettait le pied dehors. Sans doute, il était sous l’impression que cela lui donnait un air important, le faisait passer pour un savant, un intellectuel. Maintenant qu’il était devenu maître d’école (quelques-uns même, à la Ville Blanche, le nommait « le professeur », ce qui avait le don de faire rire Yvon aux larmes), maintenant, dis-je, le petit rouleau de papier devait paraître indispensable à ce bon Patrice ! Il était, d’autant plus, fort probable que le rouleau en question ne se composait que de feuilles blanches. C’était vraiment comique !

Tout de même, nous le répétons, Yvon fronça les sourcils, en apercevant « le professeur », et il se dit qu’il allait passer sans s’arrêter, afin de ne pas donner à ce garçon la chance de faire la connaissance d’Annette.

Mais Patrice ne l’entendait pas ainsi ! Il en avait décidé autrement. Au lieu de passer tout droit, il s’arrêta au beau milieu du trottoir et dit à Yvon :

— Bonjour Ducastel ! Belle journée, n’est-ce pas ?

— Oui. bien belle, répondit sèchement Yvon.

Cependant, l’excellent Patrice ne se rebuta pas pour si peu. Dévorant des yeux la jeune fille, il demanda, « effrontément » se dit Yvon :

— Ne me ferez-vous pas l’honneur de me présenter à Mademoiselle ?

Il s’inclina devant Annette, quoiqu’il sut fort bien qu’elle ne pouvait pas le voir. (Tous, à la Ville Blanche, savaient, on le pense bien,