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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

presbytère, marmottait, en hochant la tête :

— C’est étrange, étrange !… Mais peut être que je me trompe… Pourtant, je jurerais que… quoique ça ne soit presque pas croyable… La pauvre, pauvre enfant ! Combien je la plains !… Cependant, je me demande si je dois la plaindre plutôt que la blâmer…


Chapitre VIII

UNE PRESQUE DÉCLARATION


Le départ du prêtre ne dérangea pas le « concert ». Annette chanta d’autres romances, en s’accompagnant, soit sur le piano, soit sur la guitare.

— Yvon, fit soudain Lionel Jacques, chante-nous donc quelque chose ; c’est à ton tour maintenant.

— Vous chantez, M. Yvon ? demanda la jeune fille.

— S’il chante ! Il s’accompagne aussi sur le piano, répondit Lionel Jacques. Chante donc une romance, mon garçon, ajouta-t-il.

Sans se faire prier, le jeune homme se mit au piano et il chanta deux jolies choses. Sa voix était assurément fort belle et il disait bien.

Encore ! Encore ! s’écria Annette, en applaudissant.

Cette fois, l’aveugle accompagna la chanson avec sa guitare, puis Yvon ayant entonné une romance qu’elle connaissait, elle joignit sa voix à celle de son ami. Ces deux belles voix, accompagnées du piano et de la guitare, c’était vraiment magnifique et Lionel Jacques ne se lassait pas de les écouter. Même, Catherine abandonna un instant ses fourneaux, et Jasmin son jardin, pour venir écouter jouer et chanter les deux artistes.

— Savez-vous, fit Lionel Jacques pendant le dîner, tandis que vous chantiez, tout à l’heure, je pensais à une chose… Il m’est venu une idée, que je crois lumineuse.

— Oui, M. Jacques ? Qu’est-ce donc ? demanda Yvon.

— Si vous donniez un concert, tous deux… disons, au bénéfice de l’église de la Ville Blanche… Il y a aussi Mme Foulon, la femme de notre marchand, qui pourrait collaborer, car elle est musicienne et elle possède une belle voix de contralto.

— Vous l’avez dit, M. Jacques, c’est une idée lumineuse que vous avez là ! s’écria Yvon. Mais, où le donnerions-nous ce concert ?

— Dans la salle de l’école.

— Il y a une salle ? Vraiment ?

— Oui. Le rez-de-chaussée a été converti en salle paroissiale ; c’est là que se rassemble le conseil de la Ville Blanche, et puis là aussi a lieu la distribution de prix des écoliers, chaque année.

— Ce serait splendide, splendide ! s’exclama Annette.

— Y a-t-il une estrade dans votre salle ? Et un piano ?

— Il y a une estrade, mais pas de piano. C’est Mme Foulon qui nous prête le sien quand nous donnons des séances.

— Alors, c’est fait ! dit Yvon. N’est-ce pas, Annette, que nous donnerons un concert, vous et moi, au profit de l’église de la Ville Blanche ? demanda-t-il, en se tournant du côté de la jeune fille.

— Ah ! Si ça se pouvait ! répondit-elle en soupirant.

— Bien sûr que ça se peut !

— Voyez-vous, M. Yvon, reprit-elle, le visage attristé soudain, ce concert devra se donner le soir… et moi… le soir, je ne serai pas libre de venir ici.

Elle ne put retenir ses larmes, la pauvre enfant. Le tableau peint par Lionel Jacques lui avait paru si beau, si parfait. Organiser un concert ! Chanter avec Yvon ? C’eut été idéal, idéal ! Mais comment parviendrait-elle à s’échapper de la Maison Grise, le soir surtout ?… Non, ce serait impossible, malheureusement !

— Annette, demanda Yvon, ne vous est-il jamais arrivé, pour une raison ou pour une autre, d’être retenue à la ville, le soir ?

— Oui, cela m’est arrivé, deux fois déjà. Surprise par l’orage, il m’a été impossible de retourner chez-nous.

— Et qu’en a dit ou fait votre grand-père ?

— Rien… Il n’a rien dit, rien fait ; les raisons que j’avais à lui donner étaient valables et il sait bien que contre l’impossible nul n’est tenu.