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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Le lendemain matin, à huit heures, heure fixée pour le mariage de Stéphanne Noëlet et de Félix de Montvilliers, on constata que la future mariée tardait à faire son apparition dans la salle d’entrée, où quelques invités étaient réunis. Une jeune fille s’offrit à aller frapper à la porte de chambre de Stéphanne.

— Oui, va donc, Anita ! fit Mme Noëlet, dont le visage boursoufflé, les yeux injectés de sang, proclamaient qu’elle avait dû se « stimuler le cœur » plus d’une fois, depuis le matin.

— Et emmène-nous la mariée ! dit, en riant, l’un des invités.

— Dis à Stéphanne qu’il est l’heure de partir pour l’église ; nous n’attendons plus qu’elle, ajouta Mme Noëlet.

Mais au moment où Anita se disposait à aller remplir sa mission, la porte de la maison s’ouvrit, pour livrer passage à… Stéphanne… au bras de… Jacques Livernois.

Tableau ! !

— Qu’est-ce… qu’est-ce que cela veut dire, Stéphanne ? balbutia Mme Noëlet. Toi ! Au bras de M. Livernois ! Le jour de ton mariage avec…

— Pourquoi pas, mère ? demanda Stéphanne en souriant. Vous venez de le dire c’est le jour, l’heure même, de mon mariage avec… non pas M. de Montvilliers, mais avec M. Livernois. Et câline, elle se suspendit plus fort au bras de son mari.

— Comment ! Tu as osé ?…

— Mais, oui !… J’ai changé d’idée tout simplement, voyez-vous, mère, reprit Stéphanne ; changer d’idée, n’est-ce pas le privilège de la femme… ou de la jeune fille, d’ailleurs ?

— C’est… C’est… Mais, c’est épouvantable ce que tu as fait !

— Ah ! mère, j’ai tout découvert, vous savez… Hier soir, j’ai rencontré M. Livernois, par hasard et j’ai appris que vous (vous, mère) ! M. de Montvilliers et Marie Letendre aviez comploté pour nous séparer, lui et moi…

— Oh ! s’écrièrent tous les invités.

— Heureusement, il n’était pas trop tard, reprit la nouvelle mariée, et ce matin, tout à l’heure…

— Je te maudis, Stéphanne, je te maudis ! cria Mme Noëlet, chez qui les stimulants commençaient à faire effet.

— Taisez-vous, mère ! supplia Stéphanne, en posant sa main sur l’épaule de Mme Noëlet. Vous n’êtes pas en état de savoir ce que vous dites, et…

— Tu crois que je ne sais pas ce que je dis ! s’écria Mme Noëlet, en repoussant rudement sa fille. Je le répète, je te maudis, toi, tes enfants, et les enfants de tes enfants !

Elle eut une crise d’hystérie tellement forte qu’elle dut être transportée dans une autre pièce. Ce fut horrible.

— Madame, fit alors Félix de Montvilliers, en s’inclinant devant Stéphanne, je vous félicite… et je vous souhaite beaucoup de bonheur, avec le rustre que vous m’avez préféré.

L’ex-fiancé de Stéphanne était très pâle et une expression méchante se lisait sur ses traits.

— Monsieur ! s’exclama la nouvelle mariée, assurément fort indignée du qualificatif appliqué à son mari. Sortez ! ajouta-t-elle, en indiquant la porte de sortie. Sortez à l’instant !

— Je pars, Madame !… Vous avez jugé à propos de revenir sur la parole donnée, me rendant ainsi ridicule aux yeux de tous, dans ce village ; je…

— Vous vous vengerez peut-être, M. de Montvilliers ? demanda Jacques Livernois, avec un sourire à la fois méprisant et narquois.

— Je… Je n’oublierai pas, dans tous les cas, répondit l’interpellé.

Ce-disant, il quitta la maison, et à part de deux des personnes présentes ce jour-là, aucun des invités ne le revit plus jamais.

Mais avant de partir définitivement du village, Félix de Montvilliers avait eu une longue conversation avec un Mathurin Broussailles, dit « L’Loucheux » ; d’abord, parce qu’il louchait horriblement, et ensuite, parce qu’on le soupçonnait d’avoir trempé dans plus d’une entreprise… loucheuse, dans sa vie.

Un rouleau de billets de banque passa des mains de Félix de Montvilliers à celles de Mathurin Broussailles, puis l’ex-fiancé de Stéphan-