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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

préféré aller l’attendre non loin de chez elle, près du Roc du Lion Couché par exemple ; mais ce n’eut pas été prudent. De la Maison Grise, M. Villemont aurait pu entendre, au milieu du silence matinal, le bruit de la voiture et les aboiements joyeux de Guido.

Lionel Jacques attendait le retour de la voiture, sur sa véranda.

— M. Jacques vous attend, Annette, dit Yvon à la jeune fille ; il nous fait des signes de la main.

Gentiment, la charmante enfant fit des signes à son hôte, et bientôt, la voiture arrivait au bas des marches en pierre conduisant à la maison.

— Soyez la bienvenue, des milliers et des milliers de fois, Mlle Annette ! fit Lionel Jacques, en posant ses lèvres sur le front de la jeune aveugle.

— Merci, M. Jacques ! répondit-elle, assurément fort touchée d’une telle réception.

Le maître de la maison posa son doigt sur un timbre, et aussitôt, Catherine, la vieille domestique, entra dans le salon, où la jeune fille avait été conduite par les deux hommes.

— Catherine, dit Lionel Jacques, voici Mlle Villemont ; elle vient passer la journée avec nous. Vous allez conduire Mlle Villemont dans la chambre que vous avez préparée pour elle.

— Venez, chère petite Mademoiselle, fit la bonne Catherine, en posant sur son bras celui de la jeune aveugle.

— Nous déjeunons à huit heures et demie, Mlle Annette, annonça Lionel Jacques. Vous aurez le temps de vous reposer, d’ici là.

Lorsque sonna la cloche du déjeuner, Catherine vint chercher Annette pour la conduire à la salle à manger.

À l’arrivée de la jeune fille, les deux hommes s’élancèrent à sa rencontre ; mais le plus âgé céda vite le pas au plus jeune, considérant que c’était le droit d’Yvon d’escorter Annette à son siège.

De quelles attentions elle fut entourée pendant le repas ! Les deux hommes, entre lesquels elle était assise, trouvaient le moyen de placer adroitement et discrètement sous les doigts de l’aveugle soit un couteau, soit une fourchette, soit une cuillère, soit un morceau de pain, soit une tasse de café. Malgré son affliction et grâce aux soins dont on l’entourait, elle ne se rendit coupable d’aucune maladresse.

Après le déjeuner, on s’installa sur la véranda et l’on causa. Mais lorsque Jasmin arriva, avec le courrier, Yvon proposa à Annette de se rendre au salon, afin de donner à M. Jacques la chance de lire ses journaux.

— Vous êtes musicienne, n’est-ce pas, ma petite amie ? demanda-t-il, lorsqu’ils furent rendus au salon. Il y a ici un piano, et un bon, je crois.

— Ce serait me vanter que de vous répondre affirmativement, répondit-elle en souriant. Je joue… un peu…

— Je n’ai pas vu de piano, à la Maison Grise ; mais…

— Il y en a un cependant… dans la partie abandonnée, la pièce qui servait de salon, autrefois, et lorsque grand-père me le permet, je passe de longues veillées à improviser… Ce sont bien les heures les plus agréables de ma vie que celles qui s’écoulent ainsi, en face du piano.

— Pourquoi M. Villemont ne fait-il pas transporter le piano dans la cuisine-salle-à-manger alors ? demanda Yvon. Ce n’est pas la place qui manque, et Dieu sait si vous avez besoin de vous distraire et de vous amuser, durant les longues journées, les longues veillées d’hiver surtout, et vous ne le pouvez pas car ces pièces inhabitées ne sont pas chauffées.

— Grand-père déteste la musique, M. Yvon ; il ne tolérerait pas le piano là où il pourrait l’entendre.

— Quel désagréable personnage que votre grand-père, Annette ! s’écria le jeune homme.

— Pauvre grand-père !…

— Pourquoi vous oblige-t-il de gagner si misérablement votre vie ? Il devrait avoir honte, vraiment ! Un homme fort et bien portant rester tranquillement à la maison, tandis que sa petite-fille…

— Ah ! Ne parlons pas de cela, je vous prie ! s’exclama la jeune aveugle en pâlissant, en même