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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

mura-t-elle ; nous devons en approcher…

— Nous y arrivons, précisément !… Il m’en coûte de vous quitter, croyez-le, chère enfant !

— Il le faut… Adieu, M. Ducastel !

— Ne direz-vous pas plutôt : « Au revoir, Yvon », Annette ?

— Au revoir, Yvon, répéta-t-elle docilement, tandis qu’un peu de rose montait à ses joues.

— Au revoir, Annette ! Dieu vous garde ! fit-il en saisissant la main de la jeune fille et y posant ses lèvres.

Bientôt, les deux nouveaux amis contournaient le Roc du Lion Couché ; Annette, pour se diriger vers la sinistre Maison Grise; Yvon, pour retourner à la riante Ville Blanche.


Chapitre IV

AU MILIEU DE LA NUIT


Six jours s’étaient écoulés, depuis la rencontre d’Yvon Ducastel et d’Annette Villemont ; six jours, qui avaient paru bien longs au jeune homme, car il n’avait pu retourner à la ville, ni revoir, conséquemment, sa petite amie.

Souvent, les événements les plus ordinaires entravent les projets les mieux formés. Lionel Jacques pouvait maintenant marcher un peu, avec l’aide d’une canne… et du bras d’un compagnon. Yvon s’était vu obligé de rendre service à son hôte, en lui prêtant le secours de son bras.

Heureux de pouvoir se promener un peu autour de sa maison, le convalescent réclamait fort souvent l’aide de son invité. Donc, au lieu d’aller en excursion à la ville, tel qu’il l’eut désiré, notre héros s’était vu investi du rôle d’infirmier. Non qu’il lui déplut de se rendre utile à son meilleur ami — loin de là — mais sa pensée allait si souvent vers la jeune aveugle, qu’il lui tardait excessivement de la revoir.

On était au soir du sixième jour. Le curé était venu passer la veillée au Gîte-Riant. Sa visite était toujours impatiemment attendue, car il était un aimable et gai compagnon. « Un saint triste est un triste saint » a dit… je ne sais trop qui, mais un homme fort sensé assurément. L’abbé Prince n’était pas un saint triste et ses visites étaient toujours accueillies joyeusement.

Dix heures sonnaient lorsque le curé partit. Lionel Jacques et Yvon sachant bien que, pour eux, le sommeil était loin encore, continuèrent à veiller ensemble, tout en causant et lisant.

— Yvon, fit Lionel Jacques soudain, serais-tu disposé à me faire quelques commissions à la ville, demain ?

S’il y serait disposé ? Il ne demandait que cela ce pauvre Yvon !

— Avec le plus grand plaisir du monde, M. Jacques ! répondit-il.

— Tu iras en voiture, cette fois, si tu n’y as pas d’objections. Je ferai atteler mon cheval Jack à mon buggy ne voulant pas blesser les sentiments de Presto, en l’obligeant à traîner une voiture, dit Lionel Jacques en riant.

— Ça sera absolument comme vous le désirez, répondit Yvon, dont le cœur débordait de joie.

— Je sais aussi que M. Foulon, notre marchand, aimerait à te demander de lui rendre un léger service, pendant que tu seras à W…

— Alors, j’irai au magasin, prendre les ordres de M. Foulon, demain avant midi, dit le jeune homme, car je ne partirai que dans l’après-midi. (Il n’allait pas perdre la chance d’escorter Annette jusqu’au Roc du Lion Couché, croyez-le) !

— Comme tu voudras, mon garçon… Maintenant, je propose que nous allions nous coucher ; il est onze heures passé.

— C’est bien, allons !

À ce moment, la cloche de la porte d’entrée sonna, à deux reprises.

— Qui peut venir si tard ? s’écria Lionel Jacques.

— Je vais aller voir, répondit Yvon, en se dirigeant vers le corridor conduisant à la porte d’entrée.

La porte ayant été ouverte, il se trouva en face d’un homme à barbe grise.

— Pardon ! Excusez, Monsieur, de vous déranger si tard, fit le nouvel arrivé.