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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

je le devine bien, répondit-elle, avec un sourire qu’il trouva ravissant. Guido n’a pas l’habitude de manifester si bruyamment sa joie ; c’est parce qu’il vous connaît… parce qu’il vous aime aussi, sans doute.

— Vous retournez chez-vous, je le présume ? demanda-t-il.

— Oui, je retourne chez moi.

— Me permettriez-vous de faire route avec vous, Mlle Annette ?

— Nous ne devons pas nous diriger du même côté, ce me semble…

— Qu’importe ! Laissez-moi vous accompagner, je vous prie !

— Je… Je… ne sais pas… Je n’ai jamais accepté l’escorte de qui que ce soit auparavant…

— Ne ferez-vous pas exception pour moi, Mlle Annette ?… Voyez-vous, je suis persuadé d’une chose depuis… depuis avant-hier ; c’est que nous sommes destinés à devenir les meilleurs amis du monde, vous et moi.

— Amis ?… Ah ! Je n’ai jamais connu ce qu’est l’amitié, de ma vie, M. Ducastel, dit-elle tristement. Vivant seule avec mon grand-père qui…

— Ainsi, M. Villemont est votre grand-père, Mlle Annette ?

— Mon grand-père, oui… il est aussi mon seul parent ici-bas.

— Alors, je vous plains ! faillit s’écrier Yvon… qui n’avait pas beaucoup aimé l’homme de la Maison Grise, on le sait.

— Vous prenez le Sentier de Nulle Part pour retourner chez-vous, Mlle Annette ? demanda-t-il seulement.

— Oui, toujours… C’est le chemin le plus direct… et le seul que mon grand-père me permette de suivre… N’étiez-vous pas à cheval, M. Ducastel ? J’ai cru que…

— J’étais à cheval, en effet. Mais Presto me suit comme un chien, si je lui ordonne de le faire… Ne donnerez-vous pas la liberté à Guido, Mlle Annette et ne prendrez-vous pas mon bras plutôt ?… Ayez confiance en moi ; je vous conduirai, sans accident, à destination.

— Je n’en doute nullement… Seulement… Vraiment, je ne sais trop que faire, répondit-elle, d’un ton fort perplexe… Pourtant… oui, j’ai confiance en vous… au point d’être certaine d’une chose ; c’est que vous ne me demanderiez pas de faire quelque chose qui serait mal, ou contre les convenances, M. Ducastel.

— Certes, non, chère enfant ! répondit-il, très ému de la confiance qu’elle mettait en lui.

Il détacha la chaîne d’après le collier du chien, donnant ainsi la liberté à celui-ci, puis il plaça sur son bras la main de la jeune fille.

— Connaissez-vous le Roc du Lion Couché ? demanda-t-elle soudain.

— Oui, je le connais bien.

— Alors, il faudra nous séparer, à cet endroit. Les rochers sont plutôt clair-semés, ensuite, jusqu’à la Maison Grise, et mon grand-père pourrait nous voir.

— Qu’est-ce que ça fait ?

— S’il me voyait accompagnée de quelqu’un… je… il… il… Oh ! je ne sais ce qu’il me ferait ! fit-elle en frissonnant.

— Votre grand-père, Annette…. Dites-moi, Oh ! dites-moi ; est-il cruel pour vous ? (Il allait dire « brutal »).

Elle ne répondit pas ; mais il la vit pâlir ; il vit aussi ses pauvres yeux se remplir de frayeur. Rien ne pouvait être plus éloquent vraiment !

— N’est-ce pas que vous allez me considérer, dorénavant, comme votre ami, votre meilleur ami ? demanda-t-il.

— Je ne demande pas mieux, M. Ducastel ; je suis si, si seule… si, si délaissée ! et la jeune aveugle éclata en sanglots.

— Ne pleurez pas ainsi, ma petite amie ! implora Yvon. On dit que l’amitié est une précieuse chose… je vous serai entièrement dévoué ; il n’est rien au monde que je ne serai prêt à faire pour vous prouver mon dévouement !

— Votre amitié… Peut-être que vous ne comprenez pas tout à fait ce que ce sera, pour moi, de me dire que j’ai un ami !… La vie va me sembler toute autre maintenant, M. Ducastel !

— Merci, Annette, merci de ces bonnes paroles ! s’écria le jeune homme. Bientôt, vous apprendrez à m’appeler par mon prénom, je l’espère…

— Le Roc du Lion Couché… mur-