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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

tout simplement. Mais comme je possède une carrière, non loin d’ici… de fait, en arrière de cette muraille de sapin, dit Lionel Jacques, en désignant l’arrière de sa maison, j’ai fait charroyer des tonnes et des tonnes de pierre cassée, puis, grâce au sol fertile dont cette pierre a été recouverte, mon petit domaine est devenu une vraie ferme modèle.

— Et vous avez accompli tout cela en deux ans ! fit Yvon. Vous êtes vraiment extraordinaire, M. Jacques !

— Avec de la patience, de la volonté et de la persévérance, tu sais, on vient à bout de tout, répondit Lionel Jacques en souriant.

— Mais… J’y pense… La Ville Blanche n’est pas très éloignée de la Maison Grise ?

— Bien sûr que non ! De moins d’un quart de mille.

— Vraiment ? Vous êtes si près que cela de la Maison Grise ?… M. Villemont est votre proche voisin alors !

— Sans qu’il s’en doute peut-être… Vois-tu, la muraille de sapins qui entoure mon domaine le cache à tous les yeux. La Maison Grise, elle aussi, est entourée de sapins ; conséquemment, nous sommes cachés l’un de l’autre.

— Ah ! Précisément… murmura Yvon. Si c’était d’autres arbres que des sapins, ils se dépouilleraient de leurs feuilles, l’hiver.

— Tandis que le sapin est toujours vert, tu l’as dit. Yvon.

— Ce que je ne comprends pas, par exemple, fit notre jeune ami, c’est que le propriétaire de ce domaine ait pu se décider à vendre sa maison… Gîte-Riant, je veux dire. Elle est si belle, si confortable cette demeure !

Un sourire assez singulier plissa, un moment, les lèvres de Lionel Jacques. Il ouvrit la bouche, comme pour répondre quelque chose… pour expliquer, on l’eut cru, du moins, la raison pour laquelle l’ex-propriétaire du Gîte Riant s’était défait de sa maison ; mais il changea d’idée probablement, car il dit seulement :

— Que veux-tu, mon garçon ; on se fatigue de tout, en ce monde. Peut-être M. Jérôme, l’ex-propriétaire du Gîte-Riant, s’ennuyait-il, dans cette solitude.

— Ça se peut… murmura Yvon. Pourtant, M. Jacques, il m’a semblé que vous alliez me donner une toute autre explication… émettre une toute autre raison à propos de l’abandon, ou de la vente de Gîte-Riant, tout à l’heure. Est-ce que je me trompe ?

Mais il ne reçut pas de réponse, car Jasmin, craignant que l’air du soir ne fût préjudiciable à la santé de son maître, venait s’offrir pour transporter celui-ci dans la maison, sur la chaise-roulante.

Lorsqu’Yvon descendit à la salle-à-manger, le lendemain matin, il fut agréablement surpris d’y trouver son hôte.

— Ça va toujours de mieux en mieux, comme tu le vois, Yvon, dit Lionel Jacques en souriant. D’être de retour chez moi, c’est le meilleur, le plus efficace des remèdes.

— Voilà de bonnes nouvelles, au moins ! répondit le jeune homme, en se mettant à table.

Comme ils achevaient de déjeuner, Jasmin vint annoncer :

M. le Curé, M. Jacques !

Un prêtre venait d’apparaître dans l’encadrement de la porte de la salle à manger.

Le curé de la Ville Blanche était un grand vieillard, aux cheveux blancs, bouclés, à la physionomie ouverte et gaie. Toujours rasé de frais, son visage rose et jovial, ses yeux bleus, à la fois doux et rieurs, sa bouche « ni trop grande ni trop petite », aux lèvres « ni trop épaisses ni trop minces », exprimait une grande bonté, inspirant tout de suite l’affection et la confiance.

L’abbé Prince, (tel était le nom de ce prêtre), avait quatre ans auparavant pris sa retraite. Il habitait une maisonnette, non loin de W…. Mais la vie inactive qu’il était obligé de mener, après tant d’années de dévouement sacerdotal, minait sa santé. Il avait donc accepté avec grand plaisir de devenir curé de la Ville Blanche, d’autant qu’il connaissait Lionel Jacques, de longue date.

Le curé accourut auprès du malade, les deux mains tendues.

— Enfin ! Enfin ! Vous voilà de retour, mon ami ! s’écria-t-il.