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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— De quelle pâte est-il fait cet homme ! se disait Yvon. La pluie ne l’énerve certes pas… tandis que moi…

Soudain, ses yeux s’agrandirent, puis s’ouvrirent démesurément tout en se fixant sur l’une des portes du fond ; celle sur le seuil de laquelle Guido était couché… La poignée de cette porte tournait… doucement… sans bruit… mais elle tournait, bien sûr !…

— Est-ce que je rêve ?… se demanda-t-il. Est-ce mon imagination qui me joue de nouveaux tours ?… La poignée de cette porte vient-elle vraiment de tourner ?… Ah !

Un cri d’étonnement faillit jaillir de sa poitrine ; la porte remuait… elle s’ouvrait… lentement… Mais d’un pouce ou deux seulement… puis elle se refermait, sans le moindre bruit…

Yvon eut été porté à croire qu’il s’était trompé, si Guido ne s’était levé, debout, comme pour céder le passage à quelqu’un…

Le bruit que fit le chien en se levant attira l’attention de M. Villemont. Il se retourna vivement : mais le chien, voyant son maître le regarder d’un air courroucé, se hâta de se coucher en soupirant et en tremblant.

Vivement encore, l’homme de la Maison Grise fit face à Yvon, à qui il lança un regard chargé de soupçons ; mais le jeune homme était très occupé à sucrer son thé, ce qui parut rassurer son hôte.

Tout de même, plus d’une fois, pendant le reste du repas, les yeux d’Yvon croisèrent ceux de l’hermite ; peut-être celui-ci n’était-il pas tout à fait rassuré… Mais à propos de quoi ?…

À la fin, n’y tenant plus, le jeune homme se leva de table et se mit à préparer le plateau pour son malade.

M. Jacques, fit Yvon, durant la veillée, dites-moi… selon vous, quel est, de la solitude, l’effet le plus à craindre ?

— Pourquoi cette inversion, mon garçon ? demanda Lionel Jacques en riant d’un bon cœur. Mais, pour répondre à ta question… Sans inversion… je crois que la folie est, plus souvent qu’autrement, le résultat de la solitude… et je ne pense pas me tromper.

— C’est aussi mon opinion à moi. À vivre seul, on devient visionnaire, pour commencer, détraqué ensuite, mais, finalement, fou à lier.

— Qu’est-ce qui te fait faire pareilles réflexions, mon cher enfant ?

— Ah ! Bien des choses… que je vous raconterai… lorsque nous serons partis d’ici, car je ne serais pas étonné que les murs de la Maison Grise eussent des oreilles… de longues oreilles.

Le lendemain soir seulement, la pluie cessa de tomber et le soleil couchant irisa le paysage bouleversé environnant la Maison Grise.

Le samedi avant-midi, Yvon partit pour la ville, où il arriva vers les onze heures, à la grande joie de cette bonne Mme Francœur, qui se mit tout de suite en frais de confectionner un succulent dîner pour son pensionnaire.

Durant l’après-midi, il annonça à sa maîtresse de pension qu’il aurait besoin de l’express ; qu’il le ramènerait avec lui au chantier où se trouvait son malade.

— Ô M. Ducastel, répondit la brave femme, c’est Étienne qui va être désolé, je vous le dis !

— Pourquoi cela ? Est-ce qu’il se sert de son express aujourd’hui ?

— Non pas ! Mais l’attelage… La selle est brisée et…

— N’est-ce que cela ? C’est vite remédié. Où demeure le sellier, Mme Francœur ? Le savez-vous ?…

— Il demeure à l’autre bout de la ville. C’est un bon sellier que Guillaume Turpin par exemple !

— Turpin ?… N’a-t-il pas un fils ; un garçonnet d’une douzaine d’années qui boite ?

— Oui, M. l’Inspecteur. Léon Turpin ; c’est ainsi qu’il se nomme cet enfant. Vous le connaissez bien d’ailleurs, puisque c’est lui le commissaire de la houillère.

— Oui, je le connais. C’est un bon enfant… Alors, c’est son père, à Léon, qui est sellier ?

— Et un bon sellier aussi !

— Je vais lui apporter la selle alors et la lui faire réparer tout de suite, car je veux retourner à notre chantier de bonne heure.

— Comment se porte-il votre ma-