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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Ayant achevé sa tâche, la vision éleva, encore une fois ses deux bras vers le ciel… puis elle disparut…

Yvon s’éveilla le front couvert de transpiration. Encore sous l’influence du rêve qu’il venait de faire, ses yeux se portèrent vers sa fenêtre… Il n’y avait certes pas de lune, puisque la pluie continuait à tomber par torrents et il ne put s’empêcher de soupirer, en constatant qu’il n’avait fait que rêver… car, chose étrange, notre jeune héros était en passe de devenir amoureux… amoureux d’une vision.


Chapitre XVI

LA VOIX QUI FAIT PLEURER


Trois jours durant, il plut, et c’était on ne peut plus déprimant.

Yvon, habitué à prendre beaucoup d’exercice en plein air, se trouvait retenu, prisonnier presque, dans sa chambre… ce qu’il n’appréciait guère.

— Savez-vous, M. Jacques, dit-il, le deuxième soir de son emprisonnement, savez-vous que nous sommes réellement prisonniers dans notre chambre, depuis qu’il pleut ?

— Prisonniers, Yvon ? Que veux-tu dire ?

— Je veux dire que, quand même nous le voudrions, nous ne pourrions pas quitter ces quartiers qui nous ont été alloués, car la porte du petit corridor ouvrant sur la cuisine est toujours hermétiquement fermée, même aux heures des repas maintenant et il faut que je demande admission, chaque fois, avant qu’elle soit ouverte… Or, cette porte n’était jamais fermée auparavant.

— C’est… oui, c’est singulier… murmura Lionel Jacques.

— Singulier et… tracassant, M. Jacques… En cas d’incendie par exemple, nous serions pris, ici, comme dans une trappe… Cet homme, M. Villemont, est réellement fou… et c’est un fou dangereux, je le crains.

— Alors, Yvon, espérons que nous pourrons quitter cette maison au plus vite, fit le malade. Quel jour est-ce, aujourd’hui ?

— C’est mercredi, M. Jacques… Depuis hier matin qu’il pleut !

— Si le temps est beau demain, iras-tu en ville ?

— Je craindrais de commettre une imprudence en y allant, car les chemins doivent être en un piteux état… cette pluie détremperait des rochers, je crois… Oh ! écoutez donc tomber cette eau !

— Dans tous les cas, lorsque tu iras à W…, tu pourras en ramener la voiture de M. Francœur, car je me propose de quitter la Maison Grise soit lundi, soit mardi, annonça Lionel Jacques.

— Si tôt que cela ?… Le pourrez-vous, M. Jacques ?… Le transport…

— Oui, je le pourrai, une fois couché dans l’express de M. Francœur, je m’y trouverai très confortablement, j’en suis sûr. M. Villemont t’aidera à m’y installer, sans se faire prier, dit Lionel Jacques en riant ; il sera assez content de se débarrasser de nous le cher homme !

— Et vice versa, répondit Yvon, riant, lui aussi.

Pendant le souper, Yvon demanda d’un ton impatienté, ce qui eut le don d’amuser prodigieusement l’hermite :

M. Villemont, quand il pleut, par ici, est-ce pour… toujours ?

— Mais, non ! lui fut-il répondu. Quelquefois, la pluie tombe, sans cesser, pendant cinq ou six jours seulement…

— Cinq ou six jours seulement ? Grand Dieu ! J’aurai perdu la boule bien avant cela ! s’écria notre ami en éclatant de rire.

M. Villemont haussa les épaules et s’absorba dans le contenu de son assiette.

Voici la position qu’occupaient les deux hommes, à table : M. Villemont faisait face à la porte d’entrée : Yvon faisait face à la porte conduisant au petit corridor, et aussi, nécessairement, à celles des deux pièces du fond, ouvrant sur la cuisine.

Le jeune homme, que le bruit monotone de la pluie énervait et agaçait au suprême degré, ne mangeait guère ; de plus, il éprouvait une sorte d’impatience irraisonnée en regardant son hôte qui prenait tranquillement, ou plutôt sereinement son repas, nonobstant le mauvais temps.