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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Vous le prenez de haut, jeune homme.

— J’allais ajouter, lorsque vous m’avez interrompu, que si je m’abstiens de flatter Guido, c’est que je crains que vous vous vengiez sur lui ensuite.

— Ça se pourrait… murmura l’hermite.

— Ah ! Bah ! s’exclama Yvon. Vous m’impatientez, mon cher monsieur !… Et savez-vous, à votre place, je traiterais Guido autrement que vous le faites. Un chien de cette taille !… Un de ces jours, il se vengera de vos brutalités en vous sautant à la gorge.

— Je ne crains ni homme, ni bête, jeune homme, répondit l’homme de la Maison Grise, avec un sourire qui découvrit toutes ses dents. Je le répète, mon chien m’appartient ; j’en fais ce que je veux. Guido tremble, à ma voix ; c’est ce que je désire.

— Brute ! Triple brute ! dit Yvon, entre ses dents.

Après un tel prologue, le déjeuner fut silencieux, inutile de le dire. Yvon ne desserra pas les dents ; quant à M. Villemont, il paraissait trop préoccupé à propos de quelque chose, pour proférer même une parole.

— Imaginez-vous, M. Jacques, que j’ai bien revu mon ami Guido, dans la cuisine, tout à l’heure ! annonça le jeune homme pendant que le malade déjeunait.

— Je l’ai entendu aboyer… Évidemment. Guido est comme Presto : il n’aime pas que la pluie lui tombe dessus, répondit Lionel Jacques en riant. Et comment se porte notre hôte, ce matin, Yvon ?

M. Villemont est d’une humeur massacrante, oui, massacrante ! J’ai cru qu’il allait me massacrer, moi, ainsi que son chien, parce que je voulais flatter ce dernier, dit notre jeune ami en souriant.

— C’est un toqué…

— Quelque chose le tracasse fort ; c’est évident !

— Peut-être que, lui non plus, il n’aime pas la pluie… Le fait est que c’est assez déprimant, dans ces régions surtout.

— Vous l’avez dit, M. Jacques ! On se demande comment M. Villemont peut se résigner à vivre au milieu de cette désolation… Mais il est à moitié détraqué, je crois cet homme ! Le fait seul de ne pas vouloir que je flatte son chien le prouve assez.

— Dis-moi donc, mon pauvre enfant, pourquoi tu ne possèdes pas un chien, toi qui aimes tant les bêtes ?

— Parce que ça ne serait pas commode, en pension, comme je le suis, répondit Yvon. Mais, un de ces jours, je me ferai construire une maison, ou bien j’en achèterai une, et alors, ajouta-t-il en riant, je garderai un chien deux plutôt, des chats, des oiseaux, des poules, des canards, des lapins…

— Toute une ménagerie, quoi !

— En attendant, qu’allons-nous faire, toute la journée ?… Impossible de sortir ; impossible même d’ouvrir les fenêtres, car le vent pousse la pluie dans cette direction.

— Nous lirons, nous causerons, nous jouerons aux dames… Que veux-tu, il faut endurer ce qu’on ne peut empêcher.

— Et faire contre mauvaise fortune bon cœur.

— Exactement !

La journée se passe donc tant bien que mal. Le soir, lorsque Lionel Jacques eut été endormi, Yvon se retira dans son « boudoir », et ayant étendu un écran, afin que la lumière de la lampe ne dérangea pas le dormeur, il se disposa à écrire. Il espérait que le temps se remettrait au beau durant la nuit ce qui lui permettrait d’aller à W… le lendemain, et d’y poster ses lettres, qui étaient importantes et qui ne pouvaient souffrir plus de retard.

Il s’empara donc de la boîte de papier que M. Villemont avait mise à leur disposition et malgré lui, il haussa les épaules, en en examinant le contenu : il vit du papier et des enveloppes rose tendre ; quelque chose de très approprié à l’usage d’une dame ou d’une jeune fille, sans doute. Mais pour une lettre d’affaires, vraiment c’était du plus grand ridicule !

Cependant, « à la guerre comme à la guerre ». Les magasins de papeterie étaient loin ; il lui fallait se contenter de ce qu’il avait à sa disposition. Chose certaine, par exemple, il expliquerait à ses correspon-