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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

ment s’était écoulée la journée, pendant son absence. D’ailleurs, une certaine inquiétude axait subsisté dans son esprit, au sujet de Lionel Jacques et il lui tardait de s’assurer que tout était à l’ordre.

Le malade, assis dans son lit, accueillit joyeusement son jeune ami.

— Ah ! fit-il. J’ai reconnu ton pas, dans le petit corridor, Yvon !

— Comment avez-vous passé la journée, M. Jacques ?

— Bien. Très bien ! J’avais de quoi lire, vois-tu, répondit Lionel Jacques, en indiquant une brochure qu’il avait jeté au pied de son lit, à l’arrivée du jeune homme, et quoique ça ne valût pas ta compagnie, ça m’a aidé à passer le temps agréablement… Et… Oui… M. Villemont m’a apporté mon dîner : même il a daigné condescendre à s’asseoir près de mon lit, quelques instants, et converser avec moi, ajouta-t-il en riant.

— Vraiment ?

— Tu serais étonné, Yvon, de la véritable culture de cet homme !

— Ah ! bah ! fit notre ami, en haussant les épaules.

— Je t’assure, mon garçon, que M. Villemont est renseigné sur tous les sujets ; sur la littérature, sur les arts, les sciences… de fait, c’est un puits de science que notre hôte.

— Il est regrettable alors qu’il ne possède pas un peu plus d’éducation, de savoir-vivre ; ces qualités, ajoutées aux autres, ne lui nuiraient pas, répondit Yvon, qui digérait mal les brusques manières, le langage, brusque aussi, de leur hôte. Lionel Jacques ne put s’empêcher de rire.

— Je te l’ai dit déjà, mon garçon, M. Villemont est un original… ou, du moins, il aime à se faire passer pour tel ; mais je suis fermement convaincu d’une chose : c’est que, s’il voulait se montrer sous son véritable jour, nous découvririons en lui un homme fort distingué, et poli, jusqu’au bout des ongles.

— Il devrait bien se montrer sous son véritable jour, de temps à autre alors ! fit Yvon en souriant.

Que dirait M. Jacques, pensait-il, s’il savait qu’en ce moment, l’homme de la Maison Grise était à moitié ivre, dans sa cuisine ?…

— Dans tous les cas, Yvon, reprit Lionel Jacques en souriant, je n’ai pâti ni de faim, ni de soif, pendant ton absence.

— Tant mieux !… J’avoue que j’étais quelque peu inquiet à votre sujet, M. Jacques… Tenez, ajouta le jeune homme, il y a, dans ce paquet, toutes les commissions dont vous m’aviez chargé.

— Merci, mon garçon !

— Désirez-vous prendre connaissance du contenu du paquet tout de suite ?

— Non. Après le souper, ce sera assez tôt ; cela nous occupera et nous amusera, pendant la veillée.

— Je vous quitte donc. C’est l’heure du souper, et M. Villemont m’a bien recommandé (ordonné, je pourrais dire) de ne pas déranger le règlement de la Maison Grise, fit Yvon en riant. Au revoir, M. Jacques !

L’hermite n’avait pas l’air d’être bien solide sur ses jambes, ce soir-là, et son langage était empâté, résultat de sa trop grande intimité avec la bouteille de cognac. Il ne desserra pas les dents, tout d’abord et près de la moitié du repas se passa silencieusement.

Tout à coup, Yvon dit :

— Je pensais ne pas vous trouver à la maison, à mon retour, M. Villemont ; je vous croyais à la ville.

— À la ville ?… À W…, vous voulez dire ?

— Mais… oui…

— Je quitte rarement la Maison Grise, M. Ducastel, répondit l’hermite. Qu’est-ce qui vous a fait croire…

— La présence de Guido à W… ; voilà ce qui m’a porté à croire que vous n’étiez pas loin.

M. Villemont pâlit légèrement ; mais il se hâta de dire :

— Vous vous êtes trompé, M. Ducastel ; Guido ne pouvait pas être à W…

— Il y était, mon cher monsieur ! affirma le jeune homme, d’un ton froid.

— Impossible !

— Allons donc ! Le chien est venu aboyer autour de mon cheval, et d’ailleurs…

— Guido n’est pas le seul collie des environs, vous savez jeune homme.