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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Ne pas l’accepter ?… Pourquoi pas ?

— Je ne peux pas, non, je ne peux pas !

— Allons donc, mon garçon ! y penses-tu ?… Cette lettre te sera d’une grande utilité et presqu’immédiatement. Prends-la, Yvon.

Il prit la lettre, afin de ne pas susciter les soupçons du Gérant en persistant dans son refus.

— Et maintenant, adieu, Yvon ! fit Lionel Jacques, en tendant la main à son ex-employé. Tu ne me garderas pas trop rancune, je l’espère, pour avoir agi comme je l’ai fait à ton égard ; vraiment, je ne pouvais faire autrement.

— Je comprends… Je mérite ce qui m’arrive…

— Mon pauvre enfant, si tu voulais me promettre de ne plus toucher à la boisson… ni aux cartes !… Je te fais cette recommandation ; ce sera la dernière que je te ferai, sans doute… Suis mon conseil, Yvon, et tu t’en trouveras bien.

— Je vais essayer de suivre votre conseil, M. Jacques, promit-il.

— Eh ! bien, encore une fois, adieu !

— Adieu, M. Jacques !

Le Gérant ouvrit la porte et mit le pied dans le corridor ; mais aussitôt, revenant sur ses pas, il posa sa main sur l’épaule du jeune homme et lui demanda, d’un ton tranquille mais infiniment triste :

— Yvon, mon enfant, n’as-tu rien à me dire ?

Yvon sentit ses jambes se dérober sous lui. Il tomba assis sur le bord de son lit, son visage devint d’une pâleur livide, puis il éclata en sanglots.

— Vous… Vous… savez ? balbutia-t-il.

— Oui… je sais…

— Comment… Comment avez-vous… découvert ?…

— Chaque soir, vois-tu, dit le Gérant, immédiatement après le souper, je me rends à la banque, afin de m’assurer que tout y est à l’ordre…

— Ô mon Dieu ! s’exclama Yvon.

— Ce soir, continua le Gérant, en ouvrant le coffre-fort, je me suis tout de suite aperçu qu’il manquait de l’argent… beaucoup d’argent… Je ne me trompais pas ; la banque est plus pauvre, à ce moment, de dix-neuf mille deux cents quarante-six dollars exactement !

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! murmura Yvon.

— Pauvre enfant, fit Lionel Jacques, la tentation a été trop forte… tu y as succombé…

— Oui ! Oui ! C’est vrai ! Je suis devenu cette chose méprisable entre toutes : un voleur !

— Il est encore temps de restituer la somme que tu as dérobée, mon garçon… Je suis seul à le savoir et…

— Tout de suite ! Tout de suite ! s’écria le jeune homme.

Soulagé, au point d’en crier, Yvon ouvrit sa valise d’une main tremblante et il en retira le journal, dans lequel il avait enroulé les billets de banque ; il le remit au Gérant.

— Voici l’argent, M. Jacques, fit-il. Veuillez le compter, s’il vous plaît.

— C’est inutile : je suis sûr que la somme y est, au complet, répondit Lionel Jacques, en mettant le journal, contenant et contenu, dans la poche intérieure de son pardessus.

— Allez-vous me… me faire… arrêter maintenant ? demanda Yvon, dont les dents claquaient comme des castagnettes.

— Arrêter ! s’exclama Lionel Jacques. Non, Yvon ; bien sûr que non ! Pars, quand tu le désireras ; tu es libre comme l’air !

— Merci, M. Jacques, merci ! s’écria le jeune homme, éclatant, encore une fois, en sanglots. Que Dieu vous bénisse, pour votre extraordinaire bonté et pour votre noble cœur ! Libre ! Il était libre !… Et, il en eut bien juré ses grands dieux, son secret, son coupable secret, n’était connu que d’un seul homme au monde : Lionel Jacques, au noble cœur, qui, de sa vie, n’en desserrerait jamais les dents…

Cependant…

Yvon Ducastel était parti… non cette nuit-là, en fugitif, mais le lendemain, dans l’après-midi, se dirigeant vers l’est, plutôt que vers l’ouest.

La lettre de recommandation que