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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

cognac, qu’il but d’un trait, puis il quitta la cuisine.

Au moyen d’un passe-partout, il ouvrit une porte conduisant à un corridor étroit et obscur, puis il disparut.

La cuisine-salle à manger, nous l’avons dit déjà, était une immense pièce, sur laquelle s’ouvraient trois autres pièces, celles-ci étant au fond de la cuisine. Puis il y avait la porte conduisant au petit corridor ; on eût dit l’arrière-pont d’un bateau que cette cuisine-salle à manger de la Maison Grise.

La Maison Grise méritait bien son nom ; grise en dehors, elle était de la même nuance en dedans aussi. Les boiseries étaient peinturées de gris, ainsi que les murs, les plafonds et les planchers ; un gris foncé… déprimant, si je puis m’exprimer ainsi.

Quant à l’ameublement, il était d’une richesse… inattendue, inouïe ; un buffet couvert d’argenteries ; un cabinet contenant les plus fines porcelaines ; des fauteuils rembourrés en cuir ; une table généreusement sculptée, sur laquelle étaient éparpillés des brochures et des revues, puis il y avait le canapé large et assurément confortable sur lequel était couché Lionel Jacques.

Un feu clair brûlait dans une vaste cheminée ; de plus, sur un poêle à deux ponts, chantait une bombe ; évidemment, l’homme de la Maison Grise avait été en frais de préparer son souper, à l’arrivée des voyageurs chez lui. Évidemment aussi, si l’hermite avait dû condamner la plus grande partie de sa demeure, faute de moyens pour l’entretenir probablement, il s’arrangeait pour vivre en seigneur… dans sa cuisine-salle à manger.

La chambre qui leur était destinée ayant été préparée, nos deux amis en prirent immédiatement possession. Sur le petit corridor dont nous avons fait mention, s’ouvraient deux portes : la dernière — c’est-à-dire la plus éloignée de la cuisine — était celle de la chambre qu’ils devaient occuper.

Leur chambre n’était pas bien spacieuse ; cependant, elle contenait un ameublement complet, en plus, un large canapé, sur lequel, se dit Yvon, il dormirait comme un loir. La pièce était éclairée et aérée par trois étroites fenêtres.

— J’espère que vous serez confortablement ici, dit leur hôte, de sa voix rude.

— Merci, Monsieur, répondit Yvon. On ne saurait désirer mieux.

— Aussitôt que le souper sera prêt, je viendrai vous en avertir reprit l’homme de la Maison Grise. Vous pourrez préparer ensuite un plateau pour votre ami, ajouta-t-il, en s’adressant à Yvon et désignant Lionel Jacques.

Ce ne fut pas une petite affaire que de dévêtir le malade ; mais enfin, ce fut fait, et Yvon eut un soupir de soulagement, lorsqu’il vit Lionel Jacques couché dans son lit.

Des pas retentirent dans le petit corridor.

— Le souper est sur la table, fit la voix de leur hôte, de l’autre côté de leur porte de chambre.

— J’y vais ! répondit Yvon. Je vous apporterai votre souper, aussitôt que je le pourrai, ajouta-t-il, en s’adressant à Lionel Jacques.

— Ça ne presse nullement, mon jeune ami, dit le malade ; je n’ai pas du tout faim et…

— Un peu de nourriture légère ne saurait vous faire du mal, Monsieur ; de plus, vous ne pourriez pas entreprendre la nuit l’estomac vide. Au revoir donc ! À bientôt !

En arrivant dans la cuisine, Yvon aperçut Guido, le chien ; couché sur le seuil de la porte de l’une des pièces, au fond, il semblait garder cette porte et défendre à qui que ce fut d’y entrer sans sa permission.

En apercevant le jeune homme cependant, le collie alla au-devant de lui en gambadant.

— Guido ! fit notre ami, en flattant la bête. Beau chien ! Bon chien !

— Arrière, Guido ! Arrière ! cria rudement le maître du chien.

Maintenant, s’il y avait une chose qui déplaisait à Yvon, c’était d’entendre parler rudement à un animal. Il fronça donc les sourcils à la voix de son hôte et ne put s’empêcher de lui dire :

— Je n’ai pas peur des chiens,