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L’HOMME DE LA MAISON GRISE


Chapitre IV

L’HOMME À LA VOIX RUDE


Avec l’aide de leur hôte, Yvon parvint à faire descendre de cheval Lionel Jacques, sans que ce dernier en souffrît trop.

Le malade fut transporté dans la maison, ou, du moins, dans une immense pièce, qui devait servir, à la fois, de cuisine et de salle à manger.

Un chien, de race collie, une belle bête, à la fourrure jaune et blanche vint gronder autour des étrangers ; mais bientôt, comprenant, sans doute, que ceux-ci n’avaient aucune intention malveillante, il se mit à frétiller de la queue, puis il présenta sa patte à Yvon.

— Arrière, Guido ! Arrière ! cria l’hôte de la Maison Grise, d’une voix rude et en menaçant le chien, du geste.

Le collie, l’oreille basse, l’air piteux, rampa jusque sous un meuble, où il se coucha en tremblant ; on devinait qu’il craignait excessivement son maître.

Yvon, voyant Lionel Jacques installé confortablement, quoique provisoirement, sur un canapé, sortit de la maison, afin de s’occuper de son cheval. La pluie tombait par torrents, et ce pauvre Presto ne devait pas aimer cela.

— Il y a une bonne écurie, de plus, une grange remplie de foin et d’avoine, avait dit leur hôte. Il n’y a que trois semaines que j’ai perdu mon cheval ; conséquemment, vous trouverez tout ce qu’il vous faut, pour soigner le vôtre.

Mais une fois dehors, notre jeune ami ne vit nulle part son cheval.

— Presto ! appela-t-il. Presto !

Un hennissement lui répondit ; ce hennissement venait de l’écurie, qu’on distinguait vaguement, au milieu de l’obscurité.

— Ce bon Presto ne voulant pas prendre un bain forcé, s’est mis à l’abri, se dit Yvon en souriant. Pas si bête… pour un cheval surtout !

Au moment où Yvon rentrait dans la maison, il entendit leur hôte qui disait à Lionel Jacques :

— Je vais vous préparer une chambre immédiatement, afin que vous puissiez vous mettre au lit le plus tôt possible, car je vois que vous souffrez réellement et beaucoup.

— Je souffre… énormément, en effet, répondit le malade.

— Rien n’est pénible comme une entorse, je crois.

— C’est… C’est intolérable ! murmura Lionel Jacques.

— Quoique je ne m’y entende pas beaucoup en médicaments, reprit l’homme de la Maison Grise, j’ai, dans mon cabinet à remèdes, un liniment puissant, qui vous soulagera presqu’immédiatement. Je vous laisse votre ami en soin, reprit-il, en se tournant du côté du jeune homme ; je ne serai pas longtemps absent.

— Je regrette de vous voir vous donner toute cette peine pour moi, Monsieur, dit Lionel Jacques.

— Ce n’est rien… Mais en attendant que votre chambre soit prête, vous feriez bien d’avaler ce verre de cognac que je vais vous verser ; cela vous fera du bien.

— Merci, Monsieur, répondit le malade ; mais je ne prends jamais de boissons fortes… Je n’en prendrais pas une goutte, pour… pour me sauver la vie, je crois !

— Ah ! fit leur hôte, avec un sourire ironique. Vous êtes donc un de ces hommes de tempérance qui…

— Oui, Monsieur, et je m’en vante !

— Hé hé hé ! rit l’homme de la Maison Grise. Vous auriez vite changé d’idée, si vous viviez seul, au milieu de la solitude, comme moi ; un verre de cognac chasse l’ennui, le spleen… cela fait oublier…

— Croyez-moi, Monsieur, fit Lionel Jacques, j’ai vu trop de vies gâchées, brisées, à cause de la boisson, pour ne pas être un tempérant moi-même.

— Et vous, jeune homme, demanda-t-il, êtes-vous aussi un… tempérant ?

— Certainement, oui ! Mes opinions, ma manière de voir, s’accordent totalement avec celles de ce monsieur, répondit notre ami, en désignant Lionel Jacques.

— Ah ! Bah !… Mais c’est comme vous voudrez ! dit leur hôte, en haussant les épaules.

Il se versa un généreux verre de