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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Salomé, et suivis, presque pas à pas d’un certain vicomte ruiné, avide d’épouser la fille du millionnaire, afin de voir refleurir ses blasons.

Mais pour revenir à la Ville Blanche et expliquer pourquoi elle était en fête, arrêtons-nous un instant devant l’église et regardons… Dans l’encadrement des grandes portes viennent d’apparaître de nos amis : Yvon, donnant le bras à Annette, devenue Mme Ducastel, depuis un tout petit quart d’heure. Qu’elle est belle notre Annette, dans sa riche toilette de mariée !

Derrière les mariés, au premier plan, sont les deux témoins de la cérémonie qui vient d’avoir lieu ; ces témoins sont Jacques Livernois et Étienne Francœur, ce dernier, paraissant très bien en habit de cérémonie et coiffé d’un chapeau haut de forme.

Bien sûr qu’Yvon aurait pu choisir pour témoin un homme plus haut placé dans la société ; Étienne Francœur n’était qu’un simple journalier, on le sait. Le Docteur Rupert, le Notaire Soucy, M. Foulon, et bien d’autres de W… et de la Ville Blanche eussent été honorés d’être demandés et d’accepter cette charge : mais ni Yvon, ni Annette n’avait pu oublier les réelles bontés des Francœur à leur égard. Ces braves gens les avaient traités comme s’ils avaient été leurs propres enfants, et le seul moyen à leur disposition pour prouver leur reconnaissance ç’avait été de demander à Étienne Francœur de servir de témoin à leur mariage.

Suivant les deux témoins, venaient M. et Mme Foulon, le Docteur Rupert et Madeleine Blanchet, le Notaire et Mme Soucy, Patrice Broussailles et Anne-Marie Clouthier, cette dernière, la plus jeune des enfants d’Alphonse Clouthier, une de nos connaissances de la Ville Blanche. Patrice courtisait sérieusement Anne-Marie et il était à espérer qu’il l’épouserait, car cette vertueuse jeune fille avait acquis déjà beaucoup d’influence sur le caractère du « professeur » ; elle lui ferait une femme admirable.

N’oublions pas un autre invité à la noce : Léon Turpin, resplendissant dans un costume neuf, cadeau d’Yvon, pour la circonstance.

Dans la vaste salle-à-manger du Gite-Riant, artistement décorée de marguerites, les fleurs préférées d’Annette, deux longues tables, allant d’une extrémité à l’autre de la pièce, avaient été dressées. À la tête de la table d’honneur étaient le curé, et nos amis mentionnés plus haut. Les autres places étaient à la disposition des citoyens de la Ville Blanche, car tous, avaient été conviés aux noces ; tous aussi, s’étaient rendus à l’appel, jusqu’au vieux père d’Alphonse Clouthier. Ce bon vieillard, quoiqu’il se crut toujours à la veille de trépasser, promettait de vivre encore quelques années.

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Un soir, six mois après le mariage d’Annette et d’Yvon, Jacques Livernois arriva au Gite-Riant en retard pour le souper.

— Imaginez-vous, mes enfants, annonça-t-il, que j’arrive de chez le Notaire Soucy… Je viens d’acquérir une propriété la Maison Grise, qui était à vendre… Eh ! bien, je l’ai achetée.

— Ah ! Bah ! s’écria Yvon. Et l’ermite ?

— Il est allé se faire pendre ailleurs, celui-là, répondit Jacques Livernois en riant. La Maison Grise, ou plutôt le terrain l’environnant touche à ma carrière…

— Et qu’allez-vous en faire de la Maison Grise, père ? La démolir ? demanda Annette.

— Non pas, ma fille !… Je ferai démolir la partie qui tombe en ruines seulement. Je ferai restaurer le reste de la maison, que je mettrai ensuite à la disposition de ceux qui travaillent dans ma carrière ; c’est là qu’ils pourront se retirer, à l’heure du midi, pour prendre leur dîner et se reposer un peu… Je changerai le nom de la propriété ; je la nommerai le Refuge… Ce qu’il me faudra, par exemple, ce sera un gardien pour le Refuge

— Ludger Poitras… suggéra Yvon.

— Voilà justement l’homme qu’il faudrait ! Ce pauvre diable, sans feu, ni lieu, se croira dans le paradis, au Refuge. Bonne idée que la tienne, mon garçon !

— Yvon a toujours de bonnes idées, petit père, vous le savez bien !