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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

rester ici ! s’exclama le jeune homme.

— Je sais… Mais, pourquoi ne nous refugerions-nous pas à la Maison Grise ?

— À la Maison Grise ?… Cette maison abandonnée ?… Cependant, nous y serions à l’abri toujours, ce qui a son importance, surtout lorsqu’il menace de pleuvoir à verse.

— La Maison Grise n’est pas inhabitée, mon ami.

— Comment ! Quelqu’un habite là ?

— Bien sûr !… Le devant de la maison est abandonné, c’est évident, mais non l’arrière, la cuisine probablement. De chez moi, j’ai vu souvent de la fumée s’échapper de l’une des grandes cheminées de pierre de la Maison Grise, et le soir, on peut apercevoir la lueur d’une ou de plusieurs lampes, à travers les stores soigneusement baissées des fenêtres…

— Vous m’étonnez ! Vous m’étonnez grandement ! s’écria Yvon.

— D’ailleurs, continua Lionel Jacques, plus d’un l’a rencontré, sur le Sentier de Nulle Part, l’homme de la Maison Grise, paraît-il.

— Un hermite alors ?

— Bien… Je ne sais… Pas précisément un hermite, prétend-on.

— Comment ! Quelqu’un habite cette maison abandonnée ?… Toute une famille peut-être ; des êtres jeunes et…

— Je le répète, je ne sais trop… Personne ne sait, au juste. Mais un homme s’étant approché de l’une des fenêtres de la cuisine de la Maison Grise, un soir, a prétendu avoir entendu parler le supposé hermite… Maintenant, parlait-il seul ? Cela arrive parfois à qui vit dans la solitude… Cependant, une voix plaintive, assure-t-on, répondait à la sienne ; était-ce celle d’une femme, d’un enfant, ou bien d’un jeune animal ? Impossible de s’en assurer ; donc… Mais, hâtons-nous, mon ami ! s’écria soudain Lionel Jacques. Vraiment, je souffre le martyre et ça va en augmentant à chaque instant !

— Nous arrivons, je crois, Monsieur, répondit Yvon. Cette masse, là-bas… Oui, c’est la Maison Grise !

Bientôt en effet, on arriverait à destination.

Au grand étonnement d’Yvon, il distingua un chemin tracé, du côté droit de la maison ; l’ayant pris, il arriva presqu’immédiatement à la porte de la cuisine, dont les fenêtres, aux stores complètement baissées, étaient vivement éclairées.

Yvon frappa à la porte, du pommeau de sa cravache, puis il attendit qu’on vint ouvrir… Mais personne ne paraissait vouloir se déranger, car, à part de l’aboiement d’un chien, tout demeura silencieux.

Il frappa de nouveau, et à plusieurs reprises cette fois… Alors, des pas s’approchèrent de la porte.

— Qui va là ? fit une voix rude.

— Des voyageurs, surpris par l’orage, dont l’un est blessé, répondit le jeune homme.

— Attendez ! fit la voix, à l’intérieur.

Yvon crut entendre comme des chuchotements, quoiqu’il n’eût pu en jurer… Chose certaine, c’est qu’il y eut des piétinements, puis les pas de tout à l’heure se rapprochèrent de nouveau de la porte.

— Vous dites que l’un de vous est blessé ? demanda la voix rude.

— Oui. Monsieur. Ouvrez, je vous prie !

— Vous ne cherchez pas à me tromper, toujours, je l’espère ? Si vous osez mentir, tant pis pour vous !

— Ouvrez ! Ouvrez ! cria Yvon, au comble de l’impatience et du mécontentement.

Quelque chose de très lourd tomba sur le plancher de la cuisine (une barre de fer probablement, se dit notre jeune ami), puis la porte s’ouvrit…

Dans l’encadrement de la porte, Lionel Jacques et son jeune compagnon aperçurent un homme de haute stature, presqu’un colosse ; du moins il paraissait tel. On ne pouvait distinguer ses traits, à cause de la lumière des lampes, qui était derrière lui ; on savait seulement que ses joues, sa lèvre supérieure et son menton étaient cachés sous une barbe abondante, brune, mais grisonnante, lui allant jusqu’à la taille ; cet homme, on n’en pouvait douter, c’est l’hermite de la Maison Grise.