Page:Lacerte - L'homme de la maison grise, 1933.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.
187
L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Alors eut lieu un incident fort étonnant : Lionel Jacques devint, soudain, blanc comme de la chaux ; ses yeux s’ouvrirent démesurément et tandis que, du doigt, il désignait l’homme de la Maison Grise, il murmurait, mais assez haut pour être entendu de tous :

— Cet homme… Cet homme… Je… Je le reconnais…

— Qu’y a-t-il, M. Jacques ? demanda le curé.

— Cet homme… répéta Lionel Jacques, toujours désignant M. Villemont.

D’un pas incertain, il s’approcha de l’ermite ; celui-ci le regardait venir, d’un air assurément fort étonné.

— Qu’est-ce qui vous prend ? demanda rudement l’homme de la Maison Grise.

— Villemont… ce n’est pas votre véritable nom.

— Ça se pourrait ! Mais est-ce de vos affaires que je sois connu sous le nom de Villemont ou sous un autre ?

— Je vous reconnais !… Sans barbe ainsi, oui je vous reconnais… Vous êtes Félix de Montvilliers !

— Je… Je…

— Ah ! Félix de Montvilliers, continua Lionel Jacques, vous avez des comptes à me rendre… et je ne sortirai d’ici que lorsque vous m’aurez rendu ces comptes. Misérable !

— Tout ce bruit, parce que j’ai jugé à propos de changer de nom ! s’écria l’homme de la Maison Grise, avec un rire moqueur. Je n’ai fait que comme tant d’autres, après tout, M. Jacques Livernois !


Chapitre VI

LA CONFESSION D’UN MISÉRABLE


En disant ce qui précède, l’homme de la Maison Grise (Félix de Montvilliers, pour lui donner son véritable nom) n’était pas tout à fait sûr de ce qu’il avançait ; mais Lionel Jacques ne le démentit pas ; au contraire.

— Et ! bien, oui, M. de Montvilliers, je suis Jacques Livernois, répondit-il.

Il y eut une exclamation d’étonnement de la part d’Annette, du prêtre et d’Yvon.

— Jacques Livernois, l’incendiaire, dit Félix de Montvilliers.

— C’est faux, et vous le savez bien ! s’écria l’interpellé.

— Jacques Livernois… qui a passé trois ou quatre ans au pénitencier…

— Ô ciel ! s’exclamèrent, ensemble Annette et Yvon.

— Cela c’est vrai, répondit Lionel Jacques (ou plutôt Jacques Livernois). Mais si j’ai été accusé d’avoir incendié mon magasin, jadis, si j’ai été envoyé au pénitencier pour ce crime, que je n’avais, certes, pas commis…

— Ah ! Oui  ! C’est entendu, vous étiez innocent, hein ? dit Félix de Montvilliers avec un rire moqueur.

— Mon innocence, je peux la prouver… Lorsque je suis retourné à G…, après avoir été libéré du pénitencier, M. de Montvilliers, j’ai appris que ma femme était morte et que ma fille avait disparu… J’ai appris autre chose encore : l’Loucheux, votre complice, l’homme que vous aviez payé pour incendier mon magasin, l’Loucheux, dis-je, était à l’article de la mort… Mais avant de mourir, il m’a tout avoué. Il a même en présence du curé et du notaire de G…, signé un papier attestant mon innocence et nommant le véritable coupable ; ainsi…

— Ainsi, vous ne me craignez plus, n’est-ce pas, cher Monsieur ? dit, en riant, Félix de Montvilliers.

— Certes, non !

— Ha ha ha ! fit le misérable. Tout de même, il me sera infiniment agréable de vous raconter ma dernière entrevue avec votre femme… Stéphanne… celle que j’allais épouser… si vous ne me l’aviez pas… volée, le matin du jour fixé pour notre mariage…

— Vous l’avez donc revue, ma Stéphanne ?… C’était donc vrai ce que m’a fait entendre l’Loucheur ?… Et ma fille ? Qu’est-elle devenue ?

Instinctivement, les yeux de Jacques Livernois se tournèrent vers Annette et Félix de Montvilliers se mit à rire :

— La ressemblance est assez frappante… commença-t-il.

— Annette ! s’écria Jacques Li-