Et maintenant, d’où viens-tu, toi ? reprit-il, en s’adressant rudement à Annette.
— J’ai été malade, grand-père… Un accident… On m’a transporté chez M. Jacques… répondit la jeune fille d’une voix tremblante.
— Et pourquoi n’y es-tu pas restée… chez M. Jacques ? Je suis venu à bout d’exister, sans ta présence ici, comme tu le vois.
— Vous êtes le protecteur naturel de votre petite-fille, M. Villemont, intervint le prêtre ; c’est pourquoi nous vous la ramenons.
— Je comprends !… Eh ! bien, puisqu’elle a jugé à propos de revenir ici ; puisqu’elle n’est plus malade (vous me dites qu’elle l’a été), elle pourra encore m’être utile, en reprenant sa… son occupation, dès demain.
— Son occupation ? Que voulez-vous dire ?
— Mais, M. le Curé, elle chante, aux coins des rues, pour gagner son pain… et le mien, expliqua M. Villemont. N’avez-vous jamais entendu parler d’Annette l’aveugle ?
— Ah ! Oui… Seulement, je tiens à vous annoncer, M. Villemont, qu’en recouvrant la santé, après avoir été malade huit jours, Mlle Annette a aussi recouvert la vue ; conséquemment…
— Comment ! Tu as osé, misérable ! cria l’homme de la Maison Grise, en s’élançant sur Annette, la main levée.
La jeune fille eut une exclamation d’excessive frayeur. À cette exclamation un grondement menaçant se fit entendre et Guido bondit vers son maître, en lui montrant toutes ses dents.
— Touchez-lui, à votre petite-fille, du bout du doigt seulement, et je vous étrangle, comme j’étranglerais un chien enragé ! tonna Yvon, s’élançant vers l’ermite.
— Vous osez me parler ainsi, vous ! s’exclama l’ermite, écumant de rage. Dans ma propre maison, me menacer ! Vous en avez du toupet, laissez-moi vous le dire !
— Ne touchez pas à cette enfant, ou ce sera pire pour vous ! s’écria Lionel Jacques, à son tour.
— Est-ce de vos affaires, à vous, comment je traite ma petite-fille ? dit M. Villemont. Mais, je ne suis pas pressé… et tu ne perds rien pour attendre, ma bonne, ajouta-t-il, en s’adressant à Annette.
— Que signifient ces paroles, Monsieur ? demanda le prêtre.
— Elles signifient que ma petite-fille m’appartient et que j’entends la… corriger ainsi qu’il me plaira.
— Je ne le crois pas, répondit le curé doucement.
— Et qui m’en empêchera ?
— Dieu… Il ne permettra pas que vous martyrisiez cette enfant plus longtemps. Déjà, peut-être, Il a ses vues sur votre petite-fille.
L’ermite haussa les épaules.
— Ah ! Tenez ! fit-il soudain, en s’adressant à tous, si vous n’avez plus d’affaire ici, c’est l’heure de mon souper et… j’ai faim. Au revoir, Messieurs ! ajouta-t-il, en se dirigeant vers la porte de la cuisine et leur faisant signe de s’en aller.
— Nous regrettons de vous déranger ainsi, M. Villemont ; mais nous avons à vous entretenir encore, répondit Lionel Jacques, et…
— Et je crois qu’un peu de lumière ne serait pas de trop, supplémenta Yvon. Pourquoi n’allumez-vous pas une lampe, M. Villemont ? Il fait noir comme dans un four ici, et je déteste l’obscurité… surtout dans une maison étrangère !… La Maison Grise…
— Vous fait peur, peut-être, M. Ducastel ? demanda M. Villemont, d’un air sarcastique.
— Peur ?… Pas précisément… Je suis, seulement, prudent, sachant bien qu’il se passe d’assez étranges choses dans cette maison… Les portes se ferment à clef, mystérieusement et on se trouve tout à coup prisonnier dans une des pièces de votre demeure.
— Vous êtes… excessivement… comique… ou, devrais-je dire, spirituel, M. Ducastel ! s’écria l’ermite rageur.
— Bien sûr ! Bien sûr ! À mes heures, dit Yvon en riant. Mais, allumez donc la lampe, Monsieur, je vous prie.
— Pour vous obliger… répondit M. Villemont gouailleur.
On entendit le frottement d’une allumette et bientôt, la clarté vive d’une grosse lampe suspendue éclairait la pièce.