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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

tits tabourets, étaient Mlle d’Azur et un jeune homme, que je pris pour un garçonnet, tant il était petit… à peu près de la taille de Mlle d’Azur.… Avec des hochements de tête et des frappements de pieds, tous deux jouaient du… du banjo.

— Du banjo ? Ô ciel ! s’écria Yvon.

— C’était… grotesque, reprit Annette. Mlle d’Azur, tout en jouant, chantait une mélodie composée plutôt de cris… un chant, comme je n’en avais jamais entendu encore… Quant à Salomé, debout au milieu de la pièce, elle se livrait à des contorsions de toutes sortes… que certaines gens désignent probablement du nom de danse…

— Mais ! C’était…

— Ah ! C’était terrible, voyez-vous, reprit la jeune fille. Mais, ce qui était plus terrible encore, c’était l’apparence de Mlle d’Azur… Elle…

— L’apparence ?…

— Oh ! Je vous en prie, taisez-vous ! cria Richard d’Azur, en s’adressant à Annette.

— C’est mon devoir de parler, M. d’Azur, répondit-elle, émue, tout de même, de la réelle angoisse du père de Luella.

— Vous parliez de… de l’apparence de Mlle d’Azur, Mlle Annette ?

— Oui. Ô ciel !… Elle… Elle avait, pour l’occasion, enlevé le fard qui lui recouvre les joues ordinairement… ainsi que la teinture de ses cheveux… Elle avait ôté ses verres noirs, et je la vis… telle qu’elle est réellement… telle que la nature l’a voulue…

— Que… Que voulez-vous dire, Annette ? demanda Yvon d’une voix tremblante. Il frissonnait, sans trop comprendre pourquoi.

Une expression de véritable horreur parut sur le visage de la jeune fille.

Mlle d’Azur… balbutia-t-elle. Elle n’était plus reconnaissable : ses joues, ses lèvres épaisses, ses cheveux pâles étaient blancs… blancs comme de la neige, ses yeux, que ne cachaient plus les verres noirs étaient petits et… et… rougeâtres

Annette en était là dans son récit, quand Salomé s’élança vers elle. En un clin d’œil, la négresse eut saisi la jeune fille par le bras, et tandis que ses yeux (à Salomé) roulaient dans leurs orbites d’une façon épouvantable, elle s’écria :

— Taisez-vous ! Ah ! Taisez-vous ou je vous étrangle !

Annette pâlit, quoiqu’elle se sût entourée de gens capables de la défendre. Mais vite, Lionel Jacques et Yvon se saisirent de Salomé et la firent s’asseoir.

M. Francœur ! appela Lionel Jacques.

Aussitôt, s’ouvrit la porte du salon et Étienne Francœur, accompagné de Ludger Poitras, entra.

— Surveillez cette femme, s’il vous plaît, dit Lionel Jacques, en désignant la négresse.

— Avec plaisir. Monsieur ! répondit Étienne Francœur.

Lui et son compagnon s’installèrent de chaque côté de Salomé et surveillèrent ses moindres mouvements.

— Continuez votre récit, Annette, voulez-vous ? demanda Lionel Jacques. Vous veniez de décrire l’apparence de Mlle d’Azur… Parlez-nous donc de son compagnon maintenant… de ce jeune homme, que vous aviez, tout d’abord, pris pour un garçonnet.

— Le compagnon de Mlle d’Azur répondit Annette, sans ressembler à cette demoiselle, portait, pour ainsi dire, les mêmes signes… ou traits distinctifs…

— Mais, grand Dieu !… commença Yvon.

— C’est que tous deux, compagnons d’enfance probablement, sont de la même race… Vous l’avez deviné, M. Ducastel, fit la jeune fille. Mlle Luella d’Azur, la fille du millionnaire ; celle que vous alliez épouser, par reconnaissance, demain, est… est… une… albinos… une négresse blanche !


Chapitre IV

DANS L’INTIMITÉ


Quand, moins de deux heures plus tard, ils furent réunis dans l’étude du Gite-Riant, Mme Francœur, Annette, Lionel Jacques et Yvon, repassant dans leur mémoire le drame qui s’était déroulé dans le