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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

mais le bruit qu’on faisait, à l’intérieur, empêchait qu’on l’entendît. La pauvre petite se risqua donc à entrer… Aussitôt, elle comprit qu’elle s’était trompée de pièce et qu’elle s’était jetée, pour ainsi dire, dans la gueule du loup…

— Comment cela, M. Jacques ? demanda Yvon.

— Bientôt, tout s’expliquera, mon garçon… Pour le moment, qu’il me suffise de dire que, à l’arrivée d’Annette, il y eut des cris d’étonnement et de… crainte… ou de rage. La jeune aveugle, prise d’une peur affreuse, voulut fuir ; mais la négresse la saisit par le bras, puis, l’ayant bâillonnée, elle l’emporta… loin d’ici…

— Ce n’est pas vrai ! cria Richard d’Azur.

Lionel Jacques fit semblant de n’avoir pas entendu.

— Je disais donc, reprît-il, que Salomé avait emporté Annette loin d’ici… jusqu’au terrain de la houillère… puis, sans pitié, l’infâme négresse avait jeté sa victime dans le trou béant, servant d’entrée à la mine.

— Horreur !!

Ce cri, Patrice Broussailles venait de le pousser. Patrice, on le sait, n’était pas un ange aux ailes d’or ; mais un meurtre, ou un attentat de meurtre, ne pouvait le laisser indifférent ; dire qu’il avait frayé avec ces gens ! Des assassins !

Richard d’Azur s’était levé. Il voulut quitter le salon ; mais Yvon lui barra le chemin.

— Votre présence est encore requise ici, je crois, M. d’Azur, dit-il, avec un sourire sarcastique.

— Laissez-moi passer, vous !

— Impossible ! Je suis certain que M. Jacques n’a pas terminé son récit.

Le père de Luella se laissa tomber sur un canapé, sachant bien qu’il ne quitterait le salon que lorsqu’il plairait à ceux qui s’étaient faits ses juges.

Quant à Salomé, elle ne paraissait pas trop effrayée. Ce qu’elle avait fait, ç’avait été pour protéger sa chère Mlle Luella… le reste de l’univers et les conséquences de sa conduite, lui importaient peu.

J’ai terminé mon récit, Yvon, dit Lionel Jacques ; je vais céder la parole à une autre personne maintenant.

Ce-disant, il ouvrit la porte du salon, et aussitôt, entra Annette, appuyée au bras de Mme Francœur.

— Un revenant ! Un revenant ! cria la négresse, folle d’épouvante et désignant la jeune aveugle.

— Non. Pas un revenant, Salomé… grâce à M. Ducastel, qui a accompli le presqu’impossible pour sauver la vie de votre victime, répondit Lionel Jacques.

— Annette ! Ô Annette !… balbutia Yvon.

Il eût voulu accourir vers elle, la prendre dans ses bras, la presser sur son cœur, couvrir ses joues si pâles de tendres baisers… À temps, il se rappela que, quoiqu’il pût se considérer libre de tout engagement envers Mlle d’Azur, Annette, elle, était la fiancée du propriétaire de la Ville Blanche.

La jeune fille lui sourit cependant. Oh ! comme elle était pâle la pauvre enfant ; mais qu’elle était belle, d’une beauté si touchante que des larmes perlèrent aux cils de notre héros.

— Annette, fit Lionel Jacques, en s’adressant à la jeune fille, voulez-vous raconter ce que… ce qui se passait dans la chambre de Mlle d’Azur, ce soir dont je viens de parler ?

— Non ! Non ! cria Richard d’Azur. Je vous défends de parler, jeune fille !

— Vous le… défendez, dites-vous ? fit Lionel Jacques, d’un ton fort méprisant. Parlez, Annette, ajouta-t-il.

— Je parlerai… dit-elle doucement, afin de le sauver, lui, ajouta-t-elle, en désignant Yvon… Lorsque j’ouvris la porte de chambre de Mlle d’Azur, ce soir-là, je vis…

Je vis… répéta quelqu’un. Mais l’attention et l’intérêt qu’on apportait aux paroles de la jeune fille fit qu’on remarqua à peine cette interruption.

— Je vis d’abord, assis près de la porte et fumant un cigare, M. d’Azur. Il était très pâle et il paraissait fort ennuyé de ce qui se passait…

— De ce qui se passait ? questionna Yvon.

— Oui… car, assis sur deux pe-