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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

savait bien qu’il ne pourrait pas s’en défendre. Le « hou… hou… » de ces oiseaux interrompait parfois le silence lugubre de la mine… Et quand l’un de ces hiboux se mit à voltiger au-dessus de sa tête, et toujours de plus en plus près, notre ami eut peur… oui, peur… C’est qu’il était rendu à bout de son endurance.

Le malencontreux hibou, changeant de tactique, s’installa sur l’épaule gauche d’Yvon et lança son lamentable cri. Le jeune homme saisit sa lanterne de sa main droite et en appliqua au hibou un tel coup que l’oiseau disparut aussitôt, en redoublant ses cris.

Mais toujours, les rats l’importunaient ; ils cherchaient à grimper jusqu’à son visage maintenant. Cela devint à un tel point intolérable, à la fin, que le pauvre garçon contempla, pour un moment, l’idée d’aller rejoindre le hibou de tout à l’heure, dans le gouffre.

L’œil de Dieu pénètre partout… même dans les houillères…

Dieu prit pitié d’Yvon… Au moment où celui-ci sentait qu’il allait peut-être perdre la raison et se livrer à quelqu’acte de désespoir, il perçut un bruit, encore lointain ; celui d’un char, remontant à la surface du sol.

Bientôt, la lueur tremblotante, mais consolante et rassurante des lanternes apparut aux yeux d’Yvon ; le char venait vite ; il lui faudrait en profiter !

Ah ! S’il avait pu faire des signaux !… Ces mineurs allaient être si surpris et effrayés, lorsqu’il sauterait dans le char !… S’il pouvait allumer une allumette, pour leur faire comprendre qu’il était là, attendant, et qu’il allait arriver quelque chose d’extraordinaire ! Mais c’était impossible… Une allumette allumée pourrait produire une explosion.

Et maintenant que le char approchait. Yvon se demandait s’il aurait la force de sauter dessus, lorsqu’il passerait près de lui. Ses jambes se dérobaient sous lui : il se sentait faible comme un enfant… à moins qu’il ne parvînt à réagir un peu, il était perdu !

Voici le char ! Le bruit qu’il fait arrache un cri à notre jeune ami ; jamais il n’aura la force et le courage de se sauver, jamais !

Mais il avait assez souffert… Presque miraculeusement, les forces lui revinrent… à temps… juste à temps, pour sauter dans le char, au moment où il passait près de lui, avec son vacarme assourdissant.

Juste à temps, nous l’avons dit, car le pauvre garçon s’évanouit en arrivent sur le char… et ne reprit connaissance que lorsqu’il fut rendu à la surface du sol.

 

Quand il revint à la connaissance de ce qui l’entourait, Yvon vit Étienne Francœur penché sur lui.

On lui aida à se rendre à son bureau, où Annette, étendue sur un canapé, recevait les soins dévoués de Mme Francœur ; la jeune fille était encore évanouie.

Yvon était plus pâle que la mort. Étienne Francœur ayant trouvé une bouteille de cognac dans une armoire du bureau, en versa un verre qu’il présenta au jeune homme ; celui-ci le but d’un trait et cela lui fit du bien.

Certainement qu’il se ressentirait longtemps de son extraordinaire aventure : bien sûr qu’il n’oublierait pas de sitôt toutes les horreurs qu’il venait de subir… Il s’éveillerait souvent la nuit, en proie à quelqu’affreux cauchemar, le visage inondé d’une transpiration glacée… Les rats… les chauve-souris… les hiboux… le gouffre…

Pour le moment cependant, il voulut s’occuper exclusivement d’Annette.

— Où la transporterons-nous la pauvre chère petite, M. Ducastel ? demanda Mme Francœur.

— Mais… Chez-nous ! répondit, son mari.

— Je ne demande pas mieux, Dieu le sait ! fit Mme Francœur.

— Non ! Non ! Pas chez-nous, dit Yvon. Vous avez trop d’occupations déjà… Les soins que requiert une malade… Vraiment, vraiment, ce serait trop !… Transportons Annette chez M. Jacques !

— Fort bien, M. l’Inspecteur ! dit Étienne Francœur. Ma voiture est à la porte. Allons !

Lionel Jacques, occupé à lire,