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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

est restée en ville, ce soir… malheureusement, la pauvre enfant !

— Dites-moi !… Dites-moi, vite ! Ne me laissez pas languir ainsi !

— Voyez-vous, M. Ducastel, reprit-elle, Mlle Annette et moi nous devions aller passer la nuit chez Ludger Poitras, à cause de la petite Anita qui se mourait… qui est morte, à neuf heures sonnant la pauvre enfant…

— Oui ! Oui ! s′écria Yvon impatienté. Non pas qu’il ne fut sympathique aux malheurs d’autrui ; mais, pour le moment, il s’agissait d’Annette.

— Il avait été convenu entre nous que Mlle Annette irait m’attendre chez-nous, dans la cuisine, et que j’irais la chercher là, car, aussitôt après le souper, je suis partie pour chez Ludger Poitras, moi… Eh ! bien, la petite Anita devenant de plus en plus mal, à chaque instant, et me voyant dans l’impossibilité de la quitter, j’ai envoyé mon mari chez-nous pour y chercher Mlle Annette… Elle n’y était pas…

— Vous dites qu’elle n’y était pas ? En êtes-vous sûre ?

— Elle n’y était pas. M. l’Inspecteur, affirma Étienne Francœur. Il n’y avait personne dans la cuisine et c’est dans cette pièce qu’elle et ma femme devaient se rencontrer.

— Pensant qu’elle avait décidé, au dernier moment, de retourner chez elle, à cause de son grand-père qu’elle craint tant, je suis restée chez Poitras jusqu’à la fin. Lorsqu’Anita eut exhalé le dernier soupir, j’ai couru chercher une voisine des Poitras pour me remplacer et je suis revenue chez moi… ou, du moins, nous sommes partis pour la maison, mon mari et moi, en voiture.

— Oui ! Oui ! fit, de nouveau Yvon.

— Nous étions encore à moitié chemin, lorsque nous avons aperçu Guido… Il venait vite…

— De quelle direction venait-il, Mme Francœur ?

— De chez-nous, M. Ducastel.

— Continuez, je vous prie !

— Flairant le sol, le chien grondait sourdement, puis, de temps à autre il aboyait, ou il hurlait à glacer le sang dans les veines… Nous le suivîmes, convaincus qu’il était arrivé malheur à Mlle Annette.

— Ciel ! Ô ciel ! Que peut-il bien lui être arrivé ?

— Qui le dira ?… fit Étienne Francœur. Mais Guido essaie de vous entraîner quelque part, bien sûr, M. l’Inspecteur, reprit-il, car voyez !

En effet, le chien ne faisait qu’un rond, d’Yvon à la porte du bureau. Il geignait, il aboyait, il hurlait. Ou bien, saisissant dans sa gueule le bas des pantalons du jeune homme, on eût dit qu’il cherchait à l’entraîner dehors.

— Il n’y a qu’à suivre Guido, je crois, dit notre ami tristement.

— Ah ! Espérons que son instinct nous guidera jusqu’à Annette ! s’écria Mme Francœur en pleurant.

— Oui, espérons-le ! dit gravement, son mari.

Allumant à la hâte une lanterne, Yvon sortit de son bureau, suivi des époux Francœur et précédé de Guido.

Le chien s’en allait en grondant, le poil hérissé, le nez collé au sol ; il suivait une piste ; impossible d’en douter.

Nos trois amis le suivaient…

— Dieu tout-puissant ! cria Yvon soudain. Guido nous a conduits à l’entrée de la houillère !

En effet ; près de l’entrée de la mine, trou béant, gouffre presque sans fond, le chien venait de s’arrêter, et si ce n’eut été d’Étienne Francœur, qui parvint à le retenir par la chaîne de son collier, il s’y serait précipité. C’est qu’il le savait bien le pauvre chien ; dans cet abîme gisait le corps de sa jeune maîtresse.


Chapitre XIV

YVON ENTREPREND L’IMPOSSIBLE


— Elle est là ! Mlle Annette est là-dedans ! sanglota Mme Francœur.

— Ma chère, c’est impossible ! s’écria Étienne Francœur.

— Elle ne peut pas être là ! fit Yvon. À moins que…

— Il est vrai que Guido nous a conduits tout droit ici… murmura Étienne Francœur, et si je ne le retenais pas, il se jetterait dans la