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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

cœur, qu’elles iraient, toutes deux, passer la veillée, et la nuit, si c’était nécessaire, au chevet de la petite Anita, l’enfant de Ludger, l’infirme, qui achevait sa course en ce monde.

Quoique ni Yvon, ni personne d’autres de la maison n’avaient vu Annette depuis assez longtemps, celle-ci venait assez souvent dîner et passer l’après-midi avec Mme Francœur. La maîtresse de pension tenait sa visiteuse cachée, sachant bien que, depuis certaines insultes dont elle avait été abreuvée, un jour, à table, de la part de Luella d’Azur, la jeune aveugle eut aimé mieux mourir que de s’exposer à rencontrer de nouveau la fille du millionnaire.

D’ailleurs Luella inspirait à Annette une sorte de crainte instinctive ; Richard d’Azur lui déplaisait grandement et Salomé lui faisait horriblement peur.

Mais ce soir, Annette savait que Luella était malade et elle ne craignait pas de la rencontrer ; elle devait être dans sa chambre ; son père et la négresse ne devaient pas la quitter.

Ne trouvant pas Mme Francœur chez elle, la jeune aveugle était, tout de même, fort déçue, en même temps qu’étonnée… L’heure convenue entr’elles était bien entre sept et huit heures pourtant !

Tout à côté de la cuisine était une minuscule pièce où la maitresse de maison aimait à se retirer pour se reposer, tout en faisant un peu de couture ou en reprisant le linge. Ce fut donc dans cette pièce, que Mme Francœur appelait, en riant, son « reposoir », qu’Annette se dirigea.

Pénétrant dans le « reposoir », elle se hâta de tourner la clef dans la serrure de la porte ; de cette manière, elle n’aurait pas à craindre d’être importunée, ni d’être vue… par Salomé par exemple, si celle-ci avait, par hasard, affaire dans la cuisine.

La porte fermée à clef, elle s’approcha d’une table, sur laquelle un appétissant goûter avait été servi. Elle se mourait de faim la pauvre enfant, n’ayant pas avalé une seule bouchée depuis le midi. Elle mangea donc de bon appétit, n’oubliant pas de faire partager son repas à Guido, après quoi elle s’installa dans une confortable chaise berceuse et, fatiguée d’une longue journée de travail, elle finit par s’endormir profondément…

Elle dut dormir assez longtemps. Lorsqu’elle s’éveilla, il faisait noir dans la petite pièce.

La première pensée de la jeune fille fut pour Mme Francœur… Que faisait-elle cette bonne dame ?… Pourquoi n’arrivait-elle pas ?.. Aurait-elle oublié les arrangements qu’elles avaient pris toutes deux ?…

Mais peut-être était-elle revenue à la maison et ne voyant pas Annette dans la cuisine, n’avait-elle pas songé à la chercher ailleurs, la croyant retournée à la Maison Grise ?

Ou bien encore, peut-être Mme Francœur s’était-elle retirée dans sa chambre ?… Depuis que les d’Azur étaient en pension chez elle, elle leur cédait toujours le salon, le soir… Oui, elle devait être dans sa chambre… Annette se rappela ce que la brave femme lui avait dit, plus d’une fois :

— Si jamais vous venez me rendre visite, Mlle Annette, et que je ne sois pas dans la cuisine, montez tout droit dans ma chambre ; vous serez sûre de me trouver là.

(Hélas ! pauvre Mme Francœur !… Elle avait oublié de mettre Annette au courant des derniers événements ; c’est-à-dire qu’elle n’avait pas pensé de lui dire qu’elle avait cédé sa chambre à coucher à Luella d’Azur !)

La jeune aveugle résolut donc de monter au deuxième palier. Mais : elle se dit qu’elle se passerait très bien de Guido ; (malencontreuse inspiration !) le chien pourrait aboyer et déranger Mlle d’Azur, qui était malade. Annette se voyait par l’imagination, confrontée, dans le corridor, par Richard d’Azur et Salomé, tous deux en colère. À cette pensée, elle frissonna de la tête aux pieds.

— Non, Guido, non ! fit-elle, en s’adressant à son chien, qui voulait tant la suivre. Je connais le chemin, vois-tu, et n’ai nul besoin de toi.

La pauvre bête geignait ; elle semblait implorer sa maitresse, la supplier de l’emmener ; mais, pour