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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Dit ?… Des insanités ; voilà ! Sa fille est une enfant gâtée qui ne doit pas être contrariée, et du moment que les visites du médecin ne lui plaisent pas, il est inutile d’insister, et patati et patata.

— Qui a déjà entendu parler de pareilles choses ! s’écria Yvon.

— Et comment veut-on que je soigne Mlle d’Azur, si je ne peux pas la voir, prendre sa température et suivre les progrès de la maladie, je vous le demande ? J’ai conseillé à M. d’Azur de faire venir un autre médecin pour sa fille, vu que je refusais de prescrire pour elle, ne voulant pas prendre la responsabilité d’une telle malade.

— Je le crois bien !

— Ne pourriez-vous pas lui faire entendre raison à M. d’Azur, M. Ducastel ?

— Je peux toujours essayer, Docteur, répondit Yvon. Cependant, je vous en avertis d’avance, M. d’Azur n’est pas facile à convaincre… Salomé, la négresse, encore moins. Quant à Mlle d’Azur, ne pouvant ni la voir ni lui parler, je ne puis rien de ce côté.

— Mais pourquoi ce… ce mystère, cette sottise, je devrais dire plutôt ?

— Il ne doit pas y avoir grand mystère… seulement le caprice d’une enfant gâtée, fit Yvon en souriant. Mais je m’en occuperai, je vous le promets et j’arrêterai à votre bureau, demain matin, vous rendre compte de ma mission.

— Au revoir alors, M. Ducastel ! dit le Docteur Rupert, en se levant pour partir. Je suis pressé, car je me rends, de ce pas, chez Ludger Poitras, dont la petite Anita décline de jour en jour.

— Oui, je sais ; on me l’a dit. Pauvre petite ! dit le jeune homme.

— À demain donc !

— À demain !

Yvon soupa seul avec les époux Francœur. Ils parlèrent de Luella, tous trois. Selon Mme Francœur, la jeune fille souffrait atrocement, de la tête surtout. Salomé ne fournissait pas à emplir des sacs de glace pour appliquer sur la tête de Mlle d’Azur.

— Je crois qu’elle fait de la température et beaucoup, ajouta Mme Francœur.

— J’ai vu le Docteur Rupert, tout à l’heure…

— Oui ?… Il n’a pas été admis auprès de sa malade et il était fort mécontent de cela.

— Je sais ; il me l’a dit.

— Je n’ai pas été surprise en apprenant qu’il n’avait pas été reçu, vous savez, M. l’Inspecteur.

— Comment cela, Mme Francœur ?

— J’ai voulu entrer voir Mlle d’Azur cet après-midi, pensant que peut-être je pourrais lui rendre quelque service ; mais Salomé a étendu ses deux bras au-devant de la porte de chambre de sa jeune maitresse, en marmottant quelque chose en anglais, que je n’ai pas compris.

— Comme le dit le Docteur Rupert, c’est… mystérieux, fit Yvon en souriant.

— Mystérieux, en effet… murmura Mme Francœur. Personne n’est admis dans la chambre de la malade… pas même le médecin.

— C’est ridicule, à la fin ! s’écria le jeune homme.

— Ça l’est, pour le sûr que ça l’est ! M. d’Azur, ou la négresse, montent continuellement la garde devant la porte de chambre… Qu’est-ce que ça peut bien signifier ?

— Oh ! Rien de bien étrange, je crois, Mme Francœur ; seulement, Luella est une enfant gâtée, dont les caprices sont… innombrables… et inexplicables ; voilà !

Mais, au fond, Yvon était impatienté et il blâmait les d’Azur, père et fille, de faire du mystère à propos de rien ainsi.

Puis, le lendemain, Mme Francœur lui annonça qu’elle avait cédé sa chambre à coucher à la malade sur la demande que lui en avait faite M. d’Azur.

— Voyez-vous, M. Ducastel, je n’ai pu refuser, ajouta-t-elle. La journée entière, le soleil pénètre dans ma chambre, et la chaleur du soleil est précisément ce qu’il faut à Mlle d’Azur ; nous avons donc tout simplement changé de chambre, elle et moi.

— Et durant le déménagement, de sa chambre à la vôtre, d’un côté du corridor à l’autre, êtes-vous parvenue à voir Mlle d’Azur, à lui parler, au moins ? demanda Yvon en souriant.