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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

Mais Richard d’Azur l’interpella :

— Il me semble, M. Ducastel, dit-il, que vous pourriez sacrifier ces promenades à cheval, jusqu’à ce que votre fiancée puisse vous accompagner. Je ne vois pas la nécessité de ces promenades, d’ailleurs.

— Vraiment ? fit Yvon, souriant, malgré son mécontentement. J’ai toujours eu l’habitude de prendre de l’exercice en plein air, chaque soir, M. d’Azur. Le travail de bureau que je suis obligé de faire…

— Que me parlez-vous de votre travail de bureau ! s’écria le père de Luella. Puisque vous devez abandonner vos occupations si tôt…

— Abandonner — … Abandonner, dites-vous ?

— Mais… sans doute…

— Comment ! Avez-vous cru, pour un moment, que j’allais cesser de gagner ma vie… parce que j’épouse votre fille ?

— Bien sûr que je l’ai cru… que je le crois…

— Jamais ! s’écria Yvon. Jamais !

— Allons donc ! Voyez-vous le gendre de Richard d’Azur, le millionnaire continuant son métier d’inspecteur de la houillère de W… !

— Oui, je le vois très bien, M. d’Azur ! Et si je croyais…

— C’est bon ! C’est bon ! se hâta d’interrompre le père de Luella, car cette dernière lui faisait des signes désespérés.

Elle comprenait instinctivement que son père était en frais de « mettre les pieds dans les plats ». Certes, la future Mme Ducastel était bien résolue de ne plus jamais revenir à W…, une fois qu’elle en serait partie, le jour même de son mariage ; mais ce n’était pas le temps encore d’imposer sa volonté.

— Si vous n’avez plus rien à me dire. M. d’Azur… commença Yvon, en se dirigeant vers la porte.

— Encore un mot, s’il vous plaît, M. Ducastel, répondit Richard d’Azur.

— Eh ! bien ?

— Ces leçons… ces classes que vous faites à ce gamin…

— Léon Turpin…

— Oui, Léon Turpin… Ne serait-il pas temps que vous les discontinuiez ?

— Je les discontinuerai… aussitôt que j’en jugerai à propos, dit sèchement le jeune homme. Au revoir, Luella ! ajouta-t-il.

— Attendez, Yvon, je vous prie ! s’écria la jeune fille. Qu’avez-vous décidé, pour demain après-midi ?… Le cirque, je veux dire.

— Le cirque ?… Ah ! oui, le cirque, qui arrive ici demain matin…

— Vous vous rappelez ce que je vous ai dit à ce propos, n’est-ce pas Yvon ?… Ayant été occupée à mes études, je n’ai jamais assisté à un cirque de ma vie, et j’aimerais bien à voir celui qui vient demain. M’y conduirez-vous ?

— Demain soir, oui, si vous le désirez, Luella.

— Pas demain soir, mon ami, puisque le médecin m’a défendu, pour une semaine encore, toute sortie, après le soleil couché. Nous irons à la représentation de demain après-midi plutôt.

— Impossible ! s’écria Yvon.

— Ah ! Il me semblait qu’il en serait ainsi ! cria la jeune fille, de sa voix de tête.

— Allons… Vous le savez bien Luella, je suis à mettre toutes mes affaires en ordre, au bureau, en vue de mon prochain départ : je ne pourrais réellement pas prendre tout un après-midi de congé.

— C’est cela ! Refusez-moi tout ce que je vous demande ! s’exclama-t-elle. éclatant en sanglots.

— Voyons ! Soyez raisonnable, ma chère !

— Vous le faites exprès ! Vraiment, on dirait que…

— Que… quoi, Luella ?

— Rien… répondit-elle, assez stupidement.

C’est qu’elle allait lui dire qu’il semblait faire tout en son pouvoir pour rompre leurs fiançailles ; mais elle se tut à temps. Ces sortes de provocations sont dangereuses et elles entraînent à leur suite des catastrophes, souvent.

— Ne pleure pas ma fille chérie, intervint Richard d’Azur ; je te conduirai au cirque, moi.

Yvon n’en écouta pas davantage. Avec une légère inclination de la tête, il quitta définitivement la salle à manger.

Lorsqu’on se mit à table, le lendemain midi, Yvon dit, en souriant, à Luella :

— Je vous assure qu’il y a de l’a-