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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

un « chemin » ; c’est tout simplement un sentier, où seuls, un piéton ou un cavalier passeraient à l’aise.

— Oui, ce n’est qu’un sentier… murmura Étienne. Le Sentier de Nulle Part…

— Le… quoi ? Le Sentier de Nulle Part, dites-vous ? questionna notre jeune ami. Que signifie ? ajouta-t-il en riant.

— Plusieurs le désignent sous ce nom, M. Ducastel, affirma Étienne Francœur, qui ne riait pas, lui.

— Mais, pourquoi ? demanda de nouveau Yvon.

— Parce que c’est un sentier qui semble ne conduire nulle part ; voilà !

— Au revoir, M. Francœur ! dit Yvon, en se retournant sur sa selle pour saluer ce dernier en riant, car Presto, impatient d’attendre, venait de s’élancer sur le Sentier de Nulle Part.


Chapitre II

LA MAISON GRISE


À peine Yvon Ducastel eut-il été engagé dans le chemin de la Maison Grise, qu’il s’aperçut qu’en effet, ce n’était qu’un sentier, paraissant ne conduire nulle part…

Ce n’était que détours et détours ; une route à fond de pierre, encaissée dans de hauts rochers, sans perspective aucune. À peine avait-on contourné un rocher qu’il fallait en contourner un autre. Ces rochers semblaient, d’un peu loin, barrer complètement le chemin ; mais il y avait toujours une passe, un sillon quelque part (un trail, comme ça se dit, dans les récits du Nord-Ouest) ; mais ce trail faisait encore d’autres détours. Impossible donc d’apercevoir son chemin, à plus de quelques pieds devant soi ; on n’avançait qu’à tâtons, pour ainsi dire.

Le Sentier de Nulle Part avait, de plus, un aspect fort sauvage, car, à part des rochers qui le bordaient, d’autres rochers le surplombaient, semblant prêts à s’écrouler, d’un moment à l’autre ; d’autres encore se balançaient littéralement au sommet de véritables collines rocheuses.

Sans qu’il le sut, Yvon cheminait à travers une carrière abandonnée. En effet, les carrières de la Nouvelle-Écosse sont véritablement fameuses ; de vraies montagnes de granite, de pierre de sable, de pierre à chaux ont fourni et fournissent encore les éléments nécessaires à la construction d’édifices ; non seulement dans la Nouvelle-Écosse même ; non seulement dans l’Amérique du Nord, mais aussi dans les pays étrangers.

Comme tout était gris, ou plutôt gris et noir, sur le chemin de la Maison Grise ! Les rochers, le firmament, étaient gris ; même l’herbe, courte et clair-semée (une sorte de mousse plutôt) qui bordait la route, avait revêtu une teinte grise. De plus, d’étranges oiseaux, au plumage gris et noir, immenses d’envergure, volaient au-dessus de ce paysage désolé ; les uns silencieusement ; les autres, en lançant dans l’espace des cris perçants, que l’écho répétait à l’infini. Ajoutez à cela des sapins, se dressant au sommet des rochers, et qui paraissaient noirs comme de l’encre sur le fond gris du ciel.

Tout cela produisait une impression de tristesse et d’horrible ennui. Vraiment, notre jeune ami regretta presque de s’être aventuré sur le Sentier de Nulle Part…

Même Presto ne se sentait évidemment pas à l’aise sur cet étrange sentier ; il dressait souvent les oreilles, comme s’il eut été inquiet et il renâclait très fort, comme s’il eut été effrayé. Lorsque les oiseaux lançaient à l’air leurs lugubres cris, le cheval tournait la tête du côté de son maître ; il le regardait, comme pour lui demander pourquoi il avait choisi pareil chemin pour se promener.

Soudain, Yvon se dressa sur sa selle ; c’est qu’il venait d’apercevoir, au pied d’un rocher, un chiffon de papier blanc… Ce papier… c’était quelque chose d’inattendu, au milieu de cette solitude.

Le jeune homme sauta par terre, avec l’intention de s’emparer de ce papier… Peut-être y avait-il quelques lignes d’écrites dessus ?… Ça valait vraiment la peine de s’en assurer.

Mais le chiffon en question, c’était un carré de toile blanche, garni