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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

— Quelques mois, je crois.

— Je crois bien aussi, Yvon, que tu pourras dire adieu à tous tes amis de W… au moment de partir pour l’Europe, car il est plus que probable que Mme Ducastel ne tiendra pas à revenir ici, fit Lionel Jacques en souriant.

— Mais pourquoi pas ?… Est-ce que Luella n’a pas prouvé qu’elle aimait notre ville en refusant de la quitter et s’y installant pour quelques semaines ?

— Oui… Sans doute… Vois-tu, c’était toi qui l’attirait.

— Allons donc !

— Je suis fermement convaincu que Mlle d’Azur n’eut jamais séjourné dans cette ville minière, si ce n’eut été pour être près de toi, Yvon… Dans tous les cas, je te souhaite tout le bonheur que tu mérites… Et puis… Ah ! Oui…. je vous félicite tous deux, toi et Mlle d’Azur.

— Merci, M. Jacques !… Vous me servirez de témoin, n’est-ce pas ?

— Avec plaisir, mon garçon… Vous vous marierez dans l’église de W… je présume ?

— Probablement, répondit Yvon en se levant pour partir.

— Tu ne pars pas déjà !

— Il le faut… J’ai promis à Luella que je serais de retour de bonne heure.

— Ah !… En ce cas, je n’ose pas insister à te garder, mon ami. J’espère que tu m’amèneras ta fiancée bientôt.

— Merci. M. Jacques ! J’amènerai Luella, aussitôt qu’elle se sentira assez forte pour se rendre jusqu’ici.

Monté sur Presto, Yvon regarda l’heure à sa montre et constata qu’il était à peine cinq heures. Il espérait bien que Luella serait contente et qu’elle ne prendrait pas l’habitude de lui faire des scènes, chaque fois qu’il voudrait sortir. Sans doute, elle venait d’être bien malade, et cela la rendait un tant soit peu capricieuse.

— Pauvre Luella dit-il. Son père et Salomé ont fait de leur mieux pour la gâter et c’est pourquoi elle est si exigeante et se fait des montagnes de peu de chose… J’essayerai d’être patient avec elle… Oh ! Si je pouvais m’attacher à ma fiancée et oublier Annette… complètement… Annette, qui ne m’a jamais aimé d’amour… qui en aime un autre…

Luella eut une exclamation de joie et elle accourut au-devant de son fiancé, lorsque celui-ci entra dans le salon, à cinq heures et demie sonnant. Yvon ne put s’empêcher d’être flatté d’un tel accueil ; il sourit à la jeune fille, qui se déclara heureuse… heureuse comme elle ne l’avait jamais été encore, depuis le soir de ses fiançailles.


Chapitre VII

RESSUSCITÉ DU PASSÉ


Mlle d’Azur voyait donc son rêve se réaliser : elle était la fiancée d’Yvon Ducastel et leur mariage aurait lieu dans deux semaines maintenant.

Cependant, elle n’était pas parfaitement heureuse la fille du millionnaire. Elle eût voulu que son fiancé lui consacrât toutes ses heures libres, ce qu’il était loin de faire. Par exemple, chaque soir, après le souper, il faisait une longue promenade à cheval, puis, le lundi, le mercredi et le vendredi soir c’était la classe de Léo Turpin, qui durait une heure. D’autres soirs, c’était sa pétition, à laquelle il était à mettre la dernière main.

— Venez-vous me rejoindre au salon, Yvon ? lui demanda Luella, certain soir.

— Je vais sortir, pour une heure à peu près, répondit le jeune homme ; ensuite, je vous rejoindrai. Une course à cheval…

— J’ai bien hâte de pouvoir vous accompagner dans ces promenades ! fit la jeune fille, de cette voix larmoyante, qu’elle avait adoptée depuis quelque temps et qui avait pour effet d’agacer Yvon excessivement.

— Bientôt, nous pourrons sortir ensemble, je l’espère, Luella, répondit galamment notre ami. Peut-être avant la fin de cette semaine.

— Je l’espère, moi aussi répliqua-t-elle.

Yvon se hâte de se diriger vers la porte de la salle à manger, où venait d’avoir lieu cette conversation, redoutant, par-dessus tout, une scène.