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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

terrompit Luella en souriant malicieusement, je crois que je vais jeter mon dévolu sur M. Jacques, de la Ville Blanche plutôt ; il est veuf… riche… charmant…

— Ha ha ha ! rit Patrice.

— Qu’est-ce qui vous amuse tant ?

— Si vous essayez de captiver M. Jacques, Mlle d’Azur, dit Patrice, vous trouverez obstacle sur votre chemin, je le crains.

— De quel obstacle voulez-vous parler ?

— Je veux parler d’Annette l’aveugle.

— Hein ?

— M. Jacques aime éperdument Mlle Annette… lui aussi.

— Oh ! Cette aveugle ! murmura Luella.

Patrice Broussailles ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais il se tut subitement et il se mit à observer sa compagne de plus près. Il se trouvait à la voir de profil. Soudain, une extrême surprise se peignit sur les traits du jeune homme, ses yeux devinrent plus louches que jamais et sa bouche s’ouvrit toute grande. Durant l’espace de quelques secondes, il regarda fixement Luella d’Azur, puis un sourire, à la fois étrange et méchant crispa ses lèvres.

— Eh ! bien. M. Broussailles, qu’avez-vous ? À quoi pensez-vous ? Pourquoi ne répondez-vous pas à ma question ? demanda tout à coup la jeune fille, sur un ton impatienté et en se tournant brusquement vers Patrice.

— Je… Je… balbutia-t-il.

Luella fit mine de se lever.

— Puisque ma conversation vous intéresse si peu… commença-t-elle, d’un ton piqué.

— Je vous demande infiniment pardon, Mademoiselle, fit Patrice, comme s’il se fut éveillé d’un rêve. Vous disiez ?…

— Je disais que, si véritablement vous croyez mener cette affaire à bien…

— Quelle affaire, Mlle d’Azur ? fit, innocemment, le jeune homme.

— Vous le savez bien ! s’écria-t-elle. Cette affaire, entre M. Ducastel et moi…

— C’est le plus grand de mes désirs ! s’exclama Patrice. Je veillerai fidèlement sur vos intérêts et je vous promets que, en moins d’un mois, vous serez devenue, tout au moins, la fiancée de Ducastel.

— M. Broussailles, demanda soudain Luella, avec un sourire malin, est-ce que, par hasard, vous aussi, vous seriez épris d’Annette, l’aveugle ?

— Pourquoi me posez-vous cette question, Mlle d’Azur ?

— Oh ! C’est une idée qui vient de me passer par la tête, fit la jeune fille avec un rire insouciant.

— J’avoue que j’admire Mlle Annette, dit Patrice ; j’avoue aussi que je vais faire, désormais, des projets d’avenir… Avec les dix mille dollars que vous me verserez, lorsque vous aurez épousé celui que vous aimez, je serai en position d’épouser moi, celle que j’admire, puisque je pourrai lui donner au moins une domestique pour la servir.

— C’est vraiment extraordinaire comme elle est aimée cette aveugle ! s’écria Luella, d’un ton colère.

— Elle mérite de l’être… Mlle Annette est charmante, aimable, bonne et belle à ravir !

— Quel enthousiasme ! fit Luella avec un rire méchant.

— Mais, revenons à nos moutons ! dit Patrice.

— Nos moutons ?… s’exclama la jeune fille en souriant. Nous parlions de moi, je crois, et de M. Ducastel…

— Ah ! Oui ! C’est vrai. C’est une manière de parler ; veuillez donc m’excuser… Je procède donc… Il va me falloir un écrit de vous…

— Hein ! Un écrit ? Jamais !

— Comme vous voudrez alors. Mlle d’Azur ; admettons qu’il n’y a rien de fait dit Patrice, en affectant un air indifférent, et faisant mine de partir.

— Attendez ! Attendez ! s’écria Luella.

— Attendre… quoi ?… Nous venons de conclure un marché, dit-il, assez brutalement. Je vous… livre Yvon Ducastel, pour la somme de dix mille dollars, payables en dedans d’un mois après votre mariage avec lui…

— Vraiment, M. Broussailles, vous avez une façon de dire les choses… balbutia-t-elle.

— Cartes sur table, Mlle d’Azur, cartes sur table !