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L’HOMME DE LA MAISON GRISE

sation la concernant, sans entendre des choses blessantes à son sujet.

— Ô M. Yvon ! disait Annette, (et en entendant cette interpellation si intime, si familière, Luella frémit). Que ça été horrible ce dîner !

— Combien je regrette ce qui s’est passé, chère, chère Annette ! s’écria Yvon, (Et, de nouveau, Luella frémit).

— C’est qu’elle me fait peur Mlle d’Azur ! annonça l’aveugle. Elle…

— Peur ! s’exclama Yvon, en éclatant de rire. Mlle d’Azur n’est guère dangereuse, je vous l’assure.

— Cependant… je la crains…

— C’est que vous vous figurez cette jeune fille autrement qu’elle n’est, probablement, Annette. Mais ! ajouta-t-il, riant de plus en plus fort, savez-vous qu’il ne s’en manque pas de beaucoup pour que Mlle d’Azur soit une naine ?

(Pauvre Luella qui était aux écoutes ! Nous l’avons dit, à écouter ainsi on n’entend jamais rien de bon de soi).

— Une naine !

— Eh ! bien… J’exagère peut-être un peu… Pourtant, chose certaine, c’est qu’elle n’a pas dû beaucoup grandir cette demoiselle, depuis l’âge de treize ou quatorze ans.

— Oh ! Vraiment ?

— Tout de même, elle ne manque pas d’élégance, reprit le jeune homme, toujours riant. Par galanterie, on pourrait l’appeler : « mignonne », je le suppose… Et puis, elle est mise si richement, si chiquement, et de façon à donner l’impression qu’elle possède une taille ordinaire, surtout avec ses talons hauts et fins ; si hauts, si fins, que cela donne le vertige, rien qu’à les regarder… Non, décidément, Mlle d’Azur n’est pas de… taille à effrayer qui que ce soit, ma petite amie !

— Décrivez-la moi, M. Yvon ?

— Vous la décrire ?… Ciel !… Les descriptions ne sont pas mon fort…

— Essayez, voulez-vous ?

— Je veux bien… Elle n’est pas jolie… seulement frappante, avec sa chevelure doré… de cet or roux, tant admiré par les poètes et peintres Italiens. Cependant, la chevelure de Mlle d’Azur me parait sans vie… Où en étais-je ?… Ah ! oui ? Son teint est admirable, mais ses yeux sont cachés sous des verres noirs, et sa bouche est trop grande, ses lèvres trop épaisses ; ses dents, cependant, sont blanches, fines et régulières.

— En effet, elle ne me paraît pas bien formidable Mlle d’Azur, dit Annette en souriant, et j’aurais tort de la craindre… Mais il y a Salomé, la négresse… que Mme Francœur m’a décrite… et dont j’ai une excessive peur, depuis.

— Salomé non plus n’est pas dangereuse, Annette… D’ailleurs, n’avez-vous pas confiance en vos amis, Mme Francœur, Mme Foulon, M. Jacques et moi ?… Nous sommes là pour vous protéger, si jamais il y a lieu.

— Je sais… Je sais, murmura Annette.

— Et voici précisément Mme Francœur, qui s’en vient vous chercher; je vous laisse à ses soins, car je dois retourner à mon bureau… Au revoir, Annette, ma petite amie !

— Au revoir, M. Yvon. Et merci !

Luella eut une véritable crise de désespoir, lorsqu’elle fut montée dans sa chambre. Se jetant sur son lit, elle pleura toutes ses larmes. C’est ainsi que Salomé la trouva, une demi heure plus tard.

Mlle Luella ! s’écria la domestique. Oh ! Qu’y a-t-il donc ?

— C’est… C’est cette… cette aveugle… sanglota Luella.

Elle raconta à la négresse ce qui s’était passé, à table, et sur le balcon. Le visage de la servante était effrayant à voir.

— L’aveugle, hein ! s’exclama-t-elle, en fermant le poing. Mlle Luella voulez-vous que je…

— Non ! Laisse-la tranquille, Salomé… Si j’ai besoin de toi, plus tard, je t’en aviserai.

— Il en sera ainsi que vous le désirez.

— Maintenant, aide-moi à revêtir mon amazone. Je vais sortir à cheval, puisque le soleil a reparu.


Chapitre X

MARCHÉ CONCLU


Montée sur son cheval, qu’elle avait nommé Sambo, parce qu’il était noir comme… quelqu’un, un nègre,